Quand Jessye Norman arrivait sur la Côte d’Azur
Elle débarquait avec 180 kg d’excédant de bagage, exigeant d’avoir un hôtel sans moquette... Décédée lundi, d’une septicémie, la soprano américaine a marqué notre région
Bien sûr, la France gardera de Jessye Norman le souvenir de la cantatrice drapée dans le drapeau français, chantant La Marseillaise à Paris pour la célébration du bicentenaire de la Révolution française.
Mais la légendaire soprano qui vient de mourir à New York d’une septicémie à l’âge de 74 ans, a également marqué notre région de sa présence.
Et cela dans plusieurs rôles. En chanteuse de jazz avec Michel Legrand au festival de Juan-les-Pins en juillet 1997 ou à Cimiez à Nice en 2004, apparue telle une reine dans sa robe multicolore, un micro à la main. Mais aussi et surtout dans son rôle principal de chanteuse d’opéra.
minutes d’applaudissements
Ceux qui ont assisté à son concert à Acropolis à Nice en juillet 1989 se souviennent de cette prêtresse semblable à une divinité antique arrivant en scène les bras grands ouverts, figeant la salle dans le silence en attaquant un air de Haendel. Elle était accompagnée par le merveilleux pianiste Dalton Baldwin, qui vit à présent à Antibes. Trente-cinq minutes d’applaudissements et de bis ! Inoubliable soirée ! Et son concert en juillet 1994 dans la cour du Palais Princier de Monaco ! Sous la direction du grand chef d’orchestre espagnol Rafaël Frübeck de Burgos, elle surgit en conquérante dans son rôle d’« Aïda » de Verdi, claironnant l’air Ritorna vincitor ! (« Reviens victorieux ! ») Peu après, elle endossait le rôle de Carmen pour chanter L’Amour est enfant de bohème de Carmen ! Dans la cour du Palais, on était tous « enfants de bohème »… Jessye Norman fit plusieurs enregistrements avec le Philharmonique de Monte-Carlo, dont celui de l’opéra Pénélope de Fauré, qui fut récompensé de cinq grands prix du disque. René Croési, directeur de l’orchestre à l’époque, raconte : « Nous voulions réaliser le premier enregistrement mondial de cet opéra créé à Monaco en 1913. Aucun disque n’avait jamais été fait, depuis, de cette oeuvre. Jessye Norman accepta de chanter le rôle principal. À ses côtés se trouvaient le grand ténor monégasque Alain Vanzo et le célèbre baryton belge José Van Dam. Le chef d’orchestre était le non moins célèbre Charles Dutoit. La salle Garnier fut mobilisée pendant plusieurs jours. Jessye Norman nous électrisa de sa présence. Pendant toutes ces journées, il a fallu être à ses petits soins. » Car celle-ci avait ses exigences !
Un contrat de pages émaillées de conditions
René Croési poursuit : « Son contrat était quelque chose que nous n’avions jamais vu auparavant. Il y avait vingt-cinq pages émaillées de conditions : que la chambre d’hôtel n’ait pas de climatisation, qu’elle n’ait pas de moquette, qu’il y ait un humidificateur à sa disposition, que lui soit servie de l’eau minérale cachetée, que, lors des repas, ne soit servi ni… viande de biche ni... raisins à pépins, que personne ne fume autour d’elle, etc. Lorsque, lors d’une réception en son honneur à la SBM j’aperçus le président Raoul Biancheri un cigare à la main, je me précipitai sur lui pour lui demander de l’éteindre. La fin de l’enregistrement aurait pu être compromise ! » Jean-Marie Tomasi, qui était alors adjoint au maire de Menton, se souvient : « Lors du concert que Jessye Norman donna en août 1978 dans le parc du Pian, au-dessus de la voie ferrée qui passe en contrebas, je dus intervenir auprès de la SNCF pour ralentir la vitesse des trains. Il y avait en particulier un long train de marchandises qui passait tous les soirs vers 22 h 20 qui aurait pu être très gênant. La SNCF accepta, après plusieurs négociations, de le faire rouler au pas. Et tout se passa bien ! »
En cette même année 1978, Jessye Norman chanta également sur le parvis SaintMichel au festival de Menton, toujours accompagnée par le pianiste Dalton Bladwin.
Elle revint à Menton en l’an 2000, lorsque Jean-Marie Fournier, directeur de la salle Gaveau à Paris et des Monaco Music Masters, prit la direction du festival.
Privatiser la piscine afin qu’elle s’y baigne seule
Il raconte : « Elle avait exigé qu’on réserve deux places d’avion pour elle seule car elle ne voulait pas voyager avec quelqu’un à côté. Elle arriva à l’aéroport avec… cent quatre-vingt-quatre kilos d’excédent de bagage ! Il fallut mobiliser une seconde voiture pour transporter ses valises. Dans le palace où elle logeait, on privatisa la piscine à partir de 19 heures pour qu’elle puisse se baigner seule ». Le concert, consacré à des negro-spirituals, eut lieu à la frontière franco-italienne, dans un espace monté en tribunes. Le directeur de l’Opéra de New York, James Levine s’était déplacé. Il y retrouva le prince Albert de Monaco. La Côte d’Azur gardera de Jessye Norman le souvenir d’une diva hors norme.