Aille en prison »
L’affaire a éclaté fin 2017. Sans prévenir. Comme un tsunami, devenue l’affaire « Ramadan ». Hautement sensible. Religieuse, mais aussi politique. Faite de faux-semblants, d’accusations et de dénégations, de zones d’ombre, de révélations en cascade, de coups de théâtre. Une affaire déstabilisante, dérangeante. Glaçante, aussi. La faute en grande partie à la personnalité insaisissable du prédicateur musulman. Quatre femmes ont déposé plainte contre lui. La première, en octobre 2017, Henda Ayari, une ex-salafiste très médiatisée. Suivie de près par « Christelle ». Elles dénoncent toutes deux des « viols », avec emprise, manipulation, des rapports sexuels contraints.
Pour Henda Ayari, les faits se seraient produits en 2012. En 2009 pour la deuxième plaignante. Tariq Ramadan est mis en examen dans ces deux dossiers depuis février 2018. Placé en détention à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis dans la foulée. En mars 2018, une troisième victime présumée entre dans le dossier : Mounia Rabbouj, longtemps appelée « Marie ». L’intellectuel musulman est alors – et pour le moment – placé sous le statut de témoin assisté (intermédiaire entre témoin et mis en examen). Enfin, vient le cas de « Brigitte » depuis avril 2018, instruit en Suisse pour des faits qui dateraient de 2008. Les magistrats de Genève seront très bientôt à Paris pour l’entendre. Depuis sa libération en novembre 2018 – après une incarcération polémique de presque 10 mois, où il a révélé souffrir d’une sclérose en plaques – Tariq Ramadan, 57 ans, a interdiction de quitter le territoire français. Il a rendu son passeport, versé 300 000 euros de caution, et est placé sous contrôle judiciaire.
Des centaines de SMS exhumés
Depuis 2017, cette figure influente – mais controversée – de l’islam en Europe, a changé de ligne de défense. Longtemps, il a pensé gagner la bataille en coulisses. Il tente maintenant de gagner celle de l’opinion. Le 11 septembre, il a sorti un livre, Devoir de vérité .Un ouvrage que « Christelle » a tenté de faire interdire. En vain. Il y révélait sa véritable identité. Après avoir nié farouchement, Ramadan a fini par avouer des « relations consenties » face à un dossier qui n’a cessé de s’épaissir.
Controversé
Lors de perquisitions à son domicile de Montmartre et dans ses bureaux de Saint-Denis, près de 800 photos de femmes, pour certaines très dénudées voire pornographiques, ont été découvertes dans ses ordinateurs. Et au fil des révélations, des contradictions sont apparues dans les témoignages des deux premières accusatrices.
Des centaines de SMS entre Tariq Ramadan et notamment « Christelle » exhumées, ont permis à chaque camp d’en tirer avantage. À charge de Ramadan. Ou à décharge. Depuis deux ans, c’est une affaire qui donne le tournis : qui divise l’opinion publique et en particulier la communauté musulmane, où Tariq Ramadan a encore de nombreux soutiens. Mais certains, peu à peu, se désolidarisent. La fédération des musulmans de France, ex-UOIF, longtemps défenseur de l’islamologue, s’est dite trahie par son comportement. « Musulmans de France est choquée par l’écart béant entre les dires et le comportement de Monsieur Ramadan, écart qu’elle n’a jamais soupçonné. » Se prononçant non pas sur les viols présumés, mais sur les relations extraconjugales, Musulmans de France affirme que le théologien est « en totale contradiction avec les principes attendus d’un homme qui prône l’islam. »
Le petit-fils du fondateur des frères musulmans
Tariq Ramadan est marié à une Française, convertie à l’islam et voilée. Ils ont quatre enfants. Au déclenchement de l’affaire, il a été mis en congés de l’université britannique d’Oxford, où il était titulaire d’une chaire d’études islamiques depuis 2008. Petit-fils de Hassan el-Banna, fondateur des Frères musulmans en Egypte, assassiné en 1949, Tariq Ramadan est né en 1962 en Suisse. Son père, Saïd, avait fui la répression de Nasser avec son épouse, Wafa, la fille de elBanna en 1954. En 1984, il obtient la nationalité suisse, il est alors professeur de littérature, après des études de lettres et de philosophie. Puis, il suit une formation de théologien en Égypte, en 1992...
Intellectuel éclairé ou beau parleur ?
Très vite, son passé et ses prises de position en font un penseur adulé autant qu’exécré. Intellectuel éclairé pour certains, beau parleur creux pour d’autres. Islam chic ou islam choc ? Tantôt vu comme un cheval de Troie de l’islamisme, tantôt proche des milieux altermondialistes. Sa personnalité est un vrai dédale : qui est Tariq Ramadan, pourfendu notamment par la journaliste – elle aussi controversée – Caroline Fourest ? Le procès, s’il y a procès, apportera, peut-être, des éléments de réponse. Si Henda Ayari, Christelle et Mounia Rabbouj ont déjà été entendues par les juges, Elvira, la victime présumée varoise devrait l’être avant la fin de l’année. Ses avocats, Mes Francis Szpiner, du barreau de Paris et Philippe Soussi, du barreau de Nice, n’ont pas souhaité s’exprimer. Indiquant seulement qu’ils ne feraient aucun commentaire « tant [que notre] cliente n’aura pas été entendue par le magistrat instructeur. »
Quant à Me Emmanuel Marsigny, le conseil de l’islamologue, il n’a pas donné suite à notre sollicitation.