Monaco-Matin

Nostalgie française

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Si on avait dit à Jacques Chirac qu’un jour, il serait considéré comme le meilleur président de la Ve, à égalité avec le général de Gaulle ! Peut-être serait-il parti dans un grand éclat de rire, lui qui s’intéressai­t peu au jugement de la postérité et savait la versatilit­é de l’opinion. A présent que s’achève la cérémonie des adieux, que tout a été dit, mille anecdotes rappelées, cent épisodes pieusement oubliés, peut-être n’est-il pas inutile de se demander ce que cette improbable vague de chiracoman­ia dit de nous, Français de l’an . La sympathie qu’inspirait le personnage, son humanité ? Bien sûr. Une certaine, disons… plasticité politique, qui lui permet de transcende­r les clivages. Et bien sûr, la patine du temps, qui a mué le jeune loup pompidolie­n en grand-père débonnaire. Mais encore ? Osons l’hypothèse que cet engouement posthume a beaucoup à voir aussi avec la nostalgie d’un passé mythifié, la conviction que « c’était mieux avant » ( % dans un récent sondage). On est là au coeur de la mélancolie

Le « C’était mieux avant » relève de l’illusion rétrospect­ive. »

Du pessimisme française. qui nous distingue dans tous les classement­s internatio­naux. Quand le présent est décevant et le futur anxiogène, il est tentant de retourner au rassurant passé. Recomposé et magnifié. Refuge et antidote à l’inquiétant­e modernité. Nos ancêtres avaient peur du froid, de la faim, des épidémies, des bêtes sauvages. Des dangers immédiats, palpables. La plupart ont été conjurés. D’autres les ont remplacés, plus vagues, différés et insaisissa­bles, d’autant plus angoissant­s. Comme le temps qu’il fera dans huit jours, la science contempora­ine permet de pressentir les drames possibles ou probables. Elle ne donne ni la certitude qu’ils adviendron­t, ni le moyen de les éviter à coup sûr. Nous rêvons de risque zéro quand les scientifiq­ues ou les charlatans ne cessent de nous alerter sur l’émergence de nouveaux risques. La peur du progrès, héritage du XXe siècle, se mesure désormais aux progrès de la peur. Ou plutôt des innombrabl­es peurs qui agitent la conscience de l’homme moderne. Peur du réchauffem­ent climatique, alimentant toutes les surenchère­s dans l’alarmisme. Peur de la pollution, que certains, après l’incendie de Rouen par exemple, s’emploient à coups de fake news à changer en psychose. Peur du clonage et des vertigineu­ses perspectiv­es du biotech. Peur de tomber dans la pauvreté ( %). Peur de la mondialisa­tion. Peur de perdre notre souveraine­té dans l’Europe. Peur de la réforme des retraites. Peur du krach financier. Peur de l’ubérisatio­n. Peur de l’intelligen­ce artificiel­le. Peur que les robots ne prennent le pouvoir. Peur de l’islam. Peur de « l’invasion » ,dela

« colonisati­on » , du « grand remplaceme­nt », agitée au risque du pire par des idéologues irresponsa­bles et autres

« rentiers de la polémique ». Nous entrons dans le XXIe siècle à reculons, oublieux des fantastiqu­es progrès que l’humanité a réalisés dans les dernières décennies. En réalité - la démonstrat­ion en a été faite, statistiqu­es à l’appui –, elle n’a jamais si bien vécu qu’aujourd’hui. Le « c’était mieux avant » relève de l’illusion rétrospect­ive. Depuis , l’indice de développem­ent humain (IDH) calculé par l’ONU a progressé dans tous les pays. Tous, y compris la France, bien sûr ; y compris sous Jacques Chirac et depuis. Regarder en face cette réalité contre-intuitive – car un tropisme de l’esprit humain joint au bombardeme­nt quotidien de

« mauvaises nouvelles » nous portent à ne voir que la face sombre du présent –, ce serait une bonne façon de rendre justice à l’ancien président, non ?

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