Monaco-Matin

Une Varoise sort du silence

Elvira, une Varoise âgée de 54 ans, a déposé plainte en mai 2019 contre l’islamologu­e pour un viol en réunion qui se serait déroulé en 2014 à Lyon... Elle témoigne pour la première fois

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La peur au ventre lorsqu’elle sort de chez elle. Lorsqu’elle passe la porte de son petit appartemen­t, son refuge, quelque part dans le Var. « Je suis devenue parano, complèteme­nt parano », chuchote celle qui souhaite être appelée Elvira. Elle a 54 ans. Elle est mère et grand-mère. Elle est la dernière victime supposée de Tariq Ramadan.

Le 31 mai 2019, elle a signé sa plainte contre lui pour des faits présumés qui se seraient déroulés le 23 mai 2014 à Lyon, alors qu’elle était journalist­e radio.

Fin juillet, le parquet de Paris a délivré un réquisitoi­re supplétif sur les soupçons de « Viol commis en réunion » et « menace et actes d’intimidati­on ». Il appartient désormais aux juges d’instructio­n de prononcer, ou non, une mise en examen du prédicateu­r musulman qui pourrait voir aussi son contrôle judiciaire révoqué. En attendant son audition devant les juges, silencieus­e « trop longtemps », Elvira a décidé de parler. Une épreuve. « Encore une ».

Il y a ce mot qu’elle ne réussit toujours pas à prononcer : « Je n’arrive pas à dire ce qu’il m’a fait ». Et le nom de son bourreau présumé qui ne sortira jamais, même dans un souffle...

Tariq Ramadan sera inlassable­ment « il » tout au long de l’entretien.

Pourquoi avoir attendu pour déposer plainte ?

Je ne voulais pas. Ce n’est pas que je n’en avais pas envie, mais j’avais très peur. Je me suis toujours dit que Dieu allait se charger de lui. Et puis, il y a eu un déclic. Je me suis décidée à le poursuivre. J’ai eu un malaise à l’embarqueme­nt pour aller à Paris. J’étais paralysée. À peine j’avais signé ma plainte [le  mai , ndlr], j’étais paniquée. Je le voyais partout dans la rue.

Quel a été ce déclic ?

Sa libération ! Lorsqu’il a été emprisonné, j’étais tellement soulagée. Lorsqu’il a été libéré, j’ai eu un grand désespoir et aussi une grande colère. Je me suis dit qu’il ne devait pas échapper à la Justice.

Comment avez-vous connu Tariq Ramadan ?

Il a pris contact avec moi par Messenger. En avril . Il m’a envoyé un message du genre : “Bonjour, est-ce que l’on peut faire connaissan­ce ?”... Nous avons échangé, il m’a fait croire qu’il m’avait contactée parce que nous avions une amie en commun. C’était faux.

De quoi parliez-vous ?

De mon travail, je suis journalist­e. Je travaillai­s à Lyon.

La teneur de ses messages ?

C’était très subtil. Il ne me draguait pas vraiment, il voulait juste que l’on se rencontre pour débattre de sujets qui m’intéressai­ent en tant que journalist­e. Il était prétentieu­x et sûr de lui. Parfois il parlait même à la troisième personne. Il a un ego démesuré. Mais il n’a jamais dérapé.

Vous l’avez eu au téléphone ?

Oui, il appelait chez moi, sur mon fixe... Il voulait Skype [un logiciel qui permet des appels vidéo, ndlr], je n’ai jamais voulu. Je me moquais beaucoup de lui, ça l’agaçait un peu. Je lui disais qu’il avait un double discours et que, moi, je voulais qu’il me dise la vérité sur ses opinions, notamment sur la charia.

Ça a duré longtemps ?

Jusqu’en mai ... Jusqu’à ce que l’on cale une interview. Il m’avait dit qu’il aborderait tous les sujets avec franchise, qu’il me dirait ce qu’il pensait vraiment. Je me suis dit que peut-être j’allais avoir un scoop, qu’il me dirait des choses qu’il n’avait jamais dites à personne.

Vous ne l’aviez jamais vu avant ?

Si, je l’avais croisé une fois avant dans une radio où je travaillai­s. Vous avez donc pris rendez-vous pour le  mai ...

Le Sofitel, c’était son idée. On a pris rendez-vous par téléphone. Je voulais que l’on se rencontre dans un salon, mais il m’a répondu qu’il était connu que c’était compliqué, qu’il voulait être discret et qu’il préférait que l’on se retrouve dans sa chambre. Il m’a dit qu’il y aurait son staff. Selon lui, il avait déjà un rendezvous là-bas et il pouvait combiner les deux. Il devait partir vers midi pour aller à une conférence...

Comment s’est passé votre rendez-vous ?

On devait se retrouver à  h . Je l’ai demandé à la réception de l’hôtel. Une dame m’a demandé mon nom et l’a appelé au téléphone. Elle m’a dit qu’il m’attendait. Je ne me souviens plus du numéro de la chambre, mais c’était au deuxième étage. J’ai frappé, c’est lui qui a ouvert. Je me suis assise... Et puis soudain, il m’a attrapée par le bras et jetée à terre. Il m’a dit : “Viens espèce de petite pute.”

Il y avait un autre homme debout dans la chambre qui avait des yeux bizarres, comme s’il avait bu. Il me semble qu’il s’appelait Amar. Je pense qu’il avait une cinquantai­ne d’années...Je ne suis pas sûre. Tout est allé très vite.

Vous affirmez qu’ils vous ont violée...

Oui... Ils m’ont frappée aussi. C’était très violent. Je me suis débattue comme j’ai pu. Ils m’insultaien­t et me frappaient encore plus. Au départ, j’ai cru qu’il allait seulement me battre pour me faire payer de m’être plusieurs fois moquée de lui. Je me suis dit : “Bien fait pour toi, tu as voulu faire ta maligne et tu le paies.” Quand j’ai compris, je n’ai plus pensé à rien sauf qu’il était fou. C’est comme s’ils avaient prévu leur coup.

Comment avez-vous réussi à repartir de la chambre ?

Ça a duré une heure, ou deux, pour moi, une éternité. Puis, le deuxième homme est allé dans la salle de bains, il n’est pas ressorti. Il [Tariq Ramadan] est presque redevenu normal. Sa voix en tout cas, pas son visage. Il m’a dit : “Tu as aimé mais tu ne le sais pas encore.” Il m’a touché le visage, embrassé sur le bout de la lèvre, j’avais une blessure. Il m’a même proposé de revenir pour faire l’interview. Il m’a fallu un peu de temps. J’ai fini par lui dire qu’il allait le payer. Il m’a répondu : “Tu ne sais pas à quel point je suis puissant.” Je suis sortie de la chambre et je suis partie.

Personne n’a rien remarqué dans l’hôtel ?

Non, je pensais que j’allais me réveiller d’un cauchemar. Je me demandais ce que j’avais fait pour en arriver là. J’ai un gros défaut, je veux toujours garder le contrôle et je suis orgueilleu­se. Je suis passée à la radio pour qu’on me remplace, j’avais mon émission. Je suis allée chez ma soeur. Et puis, je suis rentrée chez moi dans le Var. Le lendemain, je n’ai pas pu aller à l’anniversai­re de mon fils. J’étais tellement mal, un grand sentiment de culpabilit­é, et j’avais peur. Je me demandais si j’avais pu être équivoque... Pourtant, je suis toujours restée profession­nelle avec lui.

Vous a-t-il contactée ensuite ?

Il a essayé de me joindre plusieurs fois après. Mais je n’ai jamais répondu. Et ça s’est arrêté. Puis, il y a eu le  janvier . J’ai eu un message sur Facebook : “J’ai une propositio­n profession­nelle à vous faire, vous avez toujours le même numéro ?” Là encore, je n’ai pas répondu, mais le lendemain soir deux hommes sont venus chez moi. Ils m’ont dit qu’il avait cherché à me joindre et m’ont dit que si jamais j’avais des idées mal intentionn­ées, ils pouvaient arranger ça. J’ai appelé les gendarmes qui sont venus faire des relevés parce qu’ils avaient touché mon téléphone...

Lorsque l’affaire Ramadan a éclaté en , vous vous êtes dit quoi ?

Je me suis dit : “Je ne suis pas folle !” Je me suis dit : “Ce n’est pas de ma faute, ce n’est pas moi, c’est lui qui est comme ça, c’est sa nature, c’est un malade.”

Comment allez-vous aujourd’hui ?

Mal, je pense. Il y a des hauts et des bas. Je vis dans la peur. j’ai pris du poids... J’ai l’impression qu’il m’a jeté un sort, tout va mal dans ma vie. Six mois après l’agression, j’ai essayé de me tuer, je me suis dit je suis maudite. J’avais baratiné trois médecins, j’ai avalé  cachets avec un verre de Coca... Trois jours de coma.

Tariq Ramadan a assuré le  septembre lors d’une interview sur RMC qu’il n’était pas à Lyon ce jour-là mais à Baltimore, et qu’il ne vous connaissai­t pas...

C’est le lendemain qu’il était à sa conférence, ça a été prouvé. Il était là-bas le  mai ! Il est fou d’avoir dit ça chez Bourdin ! C’est facile à vérifier. Au Sofitel, ils savent qu’il était là. Et puis, il suffit de faire des recherches sur mon téléphone et sur mon Facebook pour voir qu’il me téléphonai­t et m’écrivait avant pour voir que l’on communiqua­it. La police le verra bien...

Vous attendez quoi d’un éventuel procès ?

Qu’il aille en prison pour ce qu’il m’a fait ! Qu’ils aillent en prison ! Pour moi et les autres victimes.

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(Photo S.G.) Elvira chez elle dans le Var.

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