Monaco-Matin

Procès d’une fusillade : la cité bâillonnée

Au 2e jour du procès d’une triple tentative d’assassinat en 2015 à Point-du-Jour à St-Laurent ,les tensions entre familles maghrébine et gitane restent vives. Les témoins sont absents ou amnésiques

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

Les véritables raisons du conflit qui oppose une famille gitane et une famille maghrébine de Saint-Laurent-du-Var se perdent dans les dédales de la cité HLM du Point-duJour. Le paroxysme de la querelle survient le 23 juillet 2015. A 13h50, un groupe fait feu sur une voiture : à l’intérieur deux jeunes, Bilel Arefa, Jamal Allalou, et son père, El Houssaine Allalou, 63 ans. Cette triple tentative d’assassinat est jugée à Nice depuis lundi.

Au moins deux tireurs

Manolo Patraque, seul accusé dans le box, dit avoir agi pour se défendre. A l’entendre, ce tir nourri dans la contre-allée Georges-Pompidou est un geste de survie après deux précédente­s agressions dont il avait été victime en 2014 et le 21 juillet 2015. Sauf que les trois hommes pris pour cible semblent étrangers à cette situation conflictue­lle. Ont-ils payé pour un autre membre de la famille Allalou soupçonné d’avoir tiré sur l’accusé ? « Pourquoi Manolo Patraque ne dépose-t-il pas plainte ? Il faut attendre qu’il y ait un mort ? » Le président Didier Guissart s’agace, fait mine de découvrir que les conflits entre communauté­s dans une cité se règlent en dehors des lois de la République.

« Chez nous, on résout les problèmes nous-mêmes », confirme Patricia, l’une des soeurs de l’accusé. Tout en admettant : « Le plus grand regret est de ne pas avoir déposé plainte .»« On s’est dit que ça allait s’arranger. Ça a été notre défaut de ne pas aller voir la police », concède l’un des frères. A l’occasion de ce procès où l’un des leurs encourt la perpétuité, la famille Patraque semble vouloir faire un pas vers la justice. Le président Guissart en profite, non sans malice : « Quel est le nom du second tireur, l’homme cagoulé ? » Silence dans les rangs des témoins qui défilent à la barre. Les autres ont préféré rester chez eux. « Personne ne veut parler du second tireur, regrette le président. Vous savez tous des choses… Un seul homme est dans le box alors qu’il devrait y en avoir deux, voire davantage .»

« C’est parti de rien »

Dans le quartier, la vérité est bâillonnée. Les représaill­es redoutées ont laissé s’installer la loi du silence. Difficile de le reprocher aux habitants. Même le juge d’instructio­n n’a pas osé procéder à une reconstitu­tion dans le quartier ! L’origine du conflit entre les Patraque et les Allalou remonterai­t à 2014. Jawed Allalou aurait traité un Patraque de « balance ». Une infamie. Depuis, les rumeurs diverses et variées ont attisé les braises. « C’est parti de rien et ça ne s’est plus arrêté », résume un ami de Manolo Patraque. Jamal Allalou dit tout ignorer de cette situation explosive. Il était alors en prison pour vols et venait de bénéficier de sa première permission de sortie. Malgré sa carrure, sa voix est mal assurée quand il débute le récit de l’agression qu’il a subie : « Bilel me dit : attention, attention ! Mais c’est trop tard, je reçois une balle. » Cinq à six individus se sont approchés de l’Audi.

Au volant, Bilel Arefa, après avoir démarré en trombe, est contraint, dans ce culde-sac, de faire demi-tour avant de repasser devant au moins deux hommes armés. Bilel Arefa hurle : « Baissez-vous, ils vont tous nous tuer ». Lui aussi dit tout ignorer du contentieu­x.

« Un type cagoulé a rafalé la voiture. », se souvient Jamal Allalou. Vingt-deux douilles seront retrouvées. L’Audi est criblée de balles.

L’une d’elles traverse la jambe de Bilel Arefa : « Je ne sentais plus ma jambe droite. Je me suis arrêté devant le poste de police. » Seul Houssaine Allalou est indemne. En s’interposan­t, bras ouverts devant Manolo Patraque il a sans doute sauvé la vie de son fils, Jamal. À moins que l’arme se soit enrayée, comme une voisine l’a affirmé avant de se rétracter. Le verdict est attendu jeudi.

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Me Béatrice Eyrignoux est le conseil de Manolo Patraque.
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Me Pierre Dini et Me Audrey Vazzana, en parties civiles, soutiennen­t les intérêts des trois victimes. (Photos Ch. P.)

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