Monaco-Matin

Un poisson tropical repéré au Cap d’Antibes

Depuis plusieurs semaines, Laurent Lombard, plongeur aguerri et lanceur d’alerte des fonds marins suit l’évolution d’une espèce inédite au Cap. Il s’agirait d’un poisson écureuil

- MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr

Poisson quoi ? Si vous affichez des yeux de merlan frit, c’est bien normal. Il faut dire que l’espèce observée depuis plusieurs semaines au cap d’Antibes n’est pas franchemen­t courante dans nos fonds… Voire carrément inexistant­e. Découvert par le plongeur aguerri Laurent Lombard, le spécimen a immédiatem­ent retenu l’attention de cet amoureux de la Méditerran­ée : « Je n’avais jamais rien vu de tel par ici. J’ai fait en sorte de pouvoir le prendre en photo pour recueillir différents avis de spécialist­es. » Et pour le coup, capturer une image de l’animal s’est avéré être du sport : « Il a un comporteme­nt sauvage. Il ne semble pas s’être développé dans un aquarium. Il est très craintif, cela a été difficile de l’approcher. Un seul mouvement et il fuit aussitôt ! » Armé de patience et de déterminat­ion, le plongeur dévoile l’image recueillie. « Je l’ai montré à des spécialist­es, notamment Léonardo Vicente, responsabl­e scientifiq­ue de l’institut Paul-Ricard situé à Six-Fours-les-Plages (83). Il a été formel : c’est un poisson écureuil. »

En Mer Rouge et dans les eaux tropicales

Un membre de la famille des holocentri­nae dont le genre exact n’est pas encore établi : « Les avis divergent. Soit c’est un sargocentr­on rubrum soit un holocentru­s rufus. » Quoi qu’il en soit, il n’est pas endémique à nos eaux dans le bassin occidental : « On le trouve dans la mer Rouge. Mais c’est une espèce lessepsien­ne, elle est capable de migrer à travers le canal de Suez. » Pour autant, ce long voyage à coups de nageoires ne serait pas la seule hypothèse quant à sa présence ici : « Il est possible qu’un bateau ait rejeté ses eaux de cale non loin et qu’un oeuf, une larve ou une post-larve était présent et est venu jusqu’ici avec les courants. »

Tant qu’il restera muet comme une carpe, difficile de connaître l’histoire de ce poisson soldat. Mais sa vigueur et ses habitudes en disent long sur son adaptation au milieu : « Il fait quinze à vingt centimètre­s, il est plutôt dodu ! Je ne vais pas dire exactement où il se trouve au Cap mais il est toujours sous le même rocher. C’est chez lui. » Une présence agréable esthétique­ment parlant pour ce passionné de vie marine : « Il est très beau oui. Mais au-delà de ça il faut aussi penser à ce que signifie son installati­on ici. Aucune personne oeuvrant dans le domaine n’avait jamais pu observer cette espèce. Un ami en Nouvelle-Calédonie m’a certifié qu’il est présent dans toutes les mers tropicales. Cela fait réfléchir… »

« L’eau de la mer se réchauffe… »

L’autre matin, lorsque Laurent Lombard a enfilé sa combinaiso­n, le thermomètr­e affichait une mer à vingt-trois degrés, au moins trois de trop pour celui qui pique une tête tous les jours, tout au long de l’année : « Pour une zone tempérée comme la nôtre, on est à vingt degrés maximum à cette période. On voit très bien que les eaux se réchauffen­t. » Un signal d’alerte ? Ou une menace pour la biodiversi­té ? « Sincèremen­t, je ne sais pas quel impact pourrait avoir cette espèce si elle se reproduit pour de bon et prend de la place. Pour l’instant notre poisson écureuil est tout seul. » Son alimentati­on ? Selon le programme Doris (voir encadré), ce p’tit gars serait plutôt porté du côté « poissons, crustacés, mollusques et autres ophiures » dans l’assiette. En attendant d’en savoir davantage sur ce nouvel arrivant se sentant comme un poisson dans l’eau ici, Laurent Lombard l’assure : il n’hésite pas à prendre régulièrem­ent de ses nouvelles. Même si l’animal sauvage adore jouer à colin...maillard ! Contacté, Didier Laurent, responsabl­e de l’espace mer et littoral du cap d’Antibes reconnaît ne pas avoir vu de poisson écureuil dans les parages. Pour autant, il l’assure : ce n’est de loin pas le seul changement qui prend place en Méditerran­ée « L’an passé on a assisté en quelques mois à la disparitio­n de la grande nacre », souligne le responsabl­e en désignant le coupable : « Un parasite. » Un constat que le plongeur essaie d’appréhende­r avec du recul : « Au final, on assiste à d’importants changement­s sur terre depuis des années. En mer c’est plutôt récent ! Mais cela s’accélère, c’est vrai. »Les causes ? « L’augmentati­on de la températur­e de l’eau, les eaux de ballast… » Preuve en est : « Les gorgones (coraux cornés ou coraux écorce) meurent et blanchisse­nt. Les degrés sont trop élevés. » Doit-on alors craindre l’arrivée de ce poisson écureuil ? « Àma connaissan­ce, il ne représente pas de menace particuliè­re. » Mais il incarne une ère de transition dans nos fonds…

Pas le seul changement...

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Le spécimen qui s’est installé au cap d’Antibes mesure vingt centimètre­s. (DR)

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