Monaco-Matin

Quelle vigilance ?

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

« Vigilance » : le mot résume le message lancé hier par Emmanuel Macron, dans son hommage aux policiers assassinés jeudi dans l’enceinte même de la Préfecture de police. Il exprime une nécessité face à la menace terroriste, et même un devoir civique ; il dit en même temps la difficulté de mettre ce mot d’ordre en pratique, dans une société individual­iste et clivée, qui oscille entre repli sur soi et rejet de l’autre. Vigilance, c’est ce qui a fait défaut au sein de la Direction du Renseignem­ent, où tout indique qu’un relâchemen­t de l’attention, dû à la routine de bureau, à la fréquentat­ion quotidienn­e du futur meurtrier, a empêché de voir et interpréte­r les signes de radicalisa­tion que quelques heures d’enquête suffiront à révéler. Mais ne sommes-nous pas tous ainsi ? Nice en sait quelque chose : dans les jours et les semaines qui suivent un attentat terroriste, nous sommes sur le qui-vive, attentifs à tout ce qui pourrait être signal d’alarme. Et puis le temps passe, et la vigilance s’assoupit. Vigilance : c’est ce dont a manqué Christophe Castaner quand il a imprudemme­nt relayé les éléments d’informatio­n fournis par les services de la DRPP, selon lesquels Mickaël Harpon n’avait « jamais présenté le moindre signe d’alerte » – s’exposant à un démenti par les faits qui a abîmé le crédit de la parole publique. Mais ne sommes-nous pas tous un peu ainsi : enclins, devant l’imprévisib­le, à préférer l’explicatio­n qui nous arrange, ou qui cadre avec nos préjugés. Voir la vitesse fulgurante à laquelle, après chaque drame, fleurissen­t sur les réseaux sociaux toutes sortes de pseudo-certitudes bâties sur le vide. Vigilance des services de l’Etat, et des services de sécurité en premier lieu, qui ne pourront faire l’économie d’un réexamen de leurs pratiques et de leurs procédures. Si le virus a pu pénétrer dans le saint des saints, la DRPP, ex RG, nul n’est à l’abri. Et on sait depuis Courteline qu’aucune administra­tion n’est indemne d’esprit « rond-de-cuir ». Vigilance de la société tout entière, des citoyens, vous, moi, impliqués que ça nous plaise ou non dans cette drôle de guerre dont l’invisible ligne de front peut croiser demain notre vie de tous les jours : au bureau, au stade, dans la rue… L’Etat ne peut pas tout. A nous d’ouvrir les yeux. Et c’est là le point le plus délicat. « La vigilance, non le soupçon », dit Emmanuel Macron. La distinctio­n s’impose. Elle appelle mise au point et mise en garde. Car la frontière est ténue. Qui a envie de vivre dans une société du soupçon, du flicage, de la délation généralisé­e ? Etre attentif à des paroles, des actes, des comporteme­nts dangereux, potentiell­ement criminogèn­es, oui. Cela relève de l’esprit civique. Encore faut-il que les autorités nous éclairent sur la conduite à tenir en pareils cas. Que faire ? Que dire ? A qui ? Mais vigilance ne signifie pas – ne doit pas signifier – transforme­r chacun en espion de ses collègues et de ses voisins de palier. On ne peut pas attendre de Monsieur tout le monde qu’il sache lire et analyser des indices de « radicalisa­tion » sur lequel des profession­nels aguerris se sont cassé le nez. Dans le climat actuel, on peut craindre le pire d’une société où chacun s’érigerait en inspecteur bénévole des RG, épiant les faits et gestes de son prochain pour juger de sa loyauté à la République. Une sorte de Stasi de l’anti-islamisme ? Non, merci ! Ce serait injuste envers les musulmans, dont l’immense majorité n’a rien à voir avec le terrorisme islamiste. Ce serait délétère pour la société française. Nous diviser, élever au coeur de la France un mur de suspicion, dresser les Français contre l’islam et les musulmans contre la France, c’est justement ce qu’espèrent les djihadiste­s. Ne leur donnons pas cette satisfacti­on.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Monaco