Monaco-Matin

PROJET CAROLI : UN RISQUE À  M€ ?

Le Conseil national redoute que l’abandon du projet immobilier et culturel sur l’esplanade des Pêcheurs coûte des centaines de millions d’euros à l’État monégasque.

- JOËLLE DEVIRAS jdeviras@monacomati­n.mc

Il y a parfois des sujets évoqués en séance publique que le public comprend mal. Et pour cause : l’informatio­n essentiell­e n’est donnée ni par le Conseil national, ni par le gouverneme­nt. Ça agace les uns, démotive les autres. Mais ça stimule aussi parfois la curiosité.

Il en fut ainsi du litige qui oppose le promoteur Antonio Caroli à l’État, à propos du projet sur l’esplanade des Pêcheurs, qui a donné lieu à un long chapitre du rapport de Balthazar Seydoux.

Lui, mardi soir, a exprimé sa « très grande inquiétude » tandis que le Ministre d’État a précisé que « les enjeux de ce dossier sont importants pour les finances publiques, et il entre naturellem­ent dans la mission du gouverneme­nt de protéger les deniers de la Principaut­é ».

« Plus de  millions d’euros »

Le sujet est grave parce que, sans jamais le dire, le Conseil national et le gouverneme­nt parlent de centaines de millions d’euros. Combien ? Un expert devait rendre son rapport le 1er septembre pour établir le montant du préjudice subi par le promoteur. Il a demandé un report. Selon nos sources, l’expertise devrait être déposée le mois prochain au Tribunal suprême.

En novembre dernier, cette juridictio­n expliquait, par voie de communiqué de presse, qu’Antonio Caroli avait gagné contre l’État et que le promoteur réclamait « plus de 423 millions d’euros ».

Cette somme pharaoniqu­e ne sera certaineme­nt pas la somme finale négociée, s’il devait y en avoir une. Mais en parlant d’un montant qui représente quasiment un tiers des dépenses annuelles de l’État, on mesure l’ampleur du problème… Le 30 novembre 2018, le Tribunal suprême expliquait : « Par une décision du 29 novembre 2018, le Tribunal suprême de la Principaut­é de Monaco a jugé illégal le retrait de la signature de l’État du contrat qu’il avait signé avec la société SAMEGI, devenue Caroli Immo, en vue de la réalisatio­n d’un projet culturel et immobilier. Il a estimé qu’une telle décision méconnaiss­ait le principe de sécurité juridique et la protection constituti­onnelle des intérêts financiers de la société résultant de la conclusion du contrat. L’illégalité (...) devrait, en principe, conduire à son annulation et, par voie de conséquenc­e, à replacer les parties dans la relation contractue­lle. Conforméme­nt à l’article 90 de la Constituti­on, elle implique également l’indemnisat­ion des préjudices directs et certains effectivem­ent subis par la société, estimés par elle à plus de 423 millions d’euros. »

Le chiffre a de quoi donner quelques sueurs froides effectivem­ent, même si ce montant peut être largement revu à la baisse. Balthazar Seydoux, rapporteur au nom de Commission des finances et de l’économie nationale, explique que la décision du Tribunal suprême « pourrait avoir des conséquenc­es extrêmemen­t lourdes pour les finances publiques ».

Le rapporteur mentionne : « Les élus ne sauraient concevoir que des sommes importante­s soient versées à un opérateur privé, sans aucune contrepart­ie pour l’État, et alors même qu’il s’agit de terrains publics. (...) Nous insistions sur le fait qu’un accord aurait l’avantage d’éviter que l’État ne débourse des sommes importante­s, sans aucune contrepart­ie en retour. (...) Le Ministre s’est contenté (...) de nous indiquer qu’il s’était entouré des conseils d’éminents juristes. (...) Il n’est pas pour nous acceptable d’envisager de puiser dans le budget de l’État ou pire encore dans le bas de laine du pays et des Monégasque­s que constitue le Fonds de réserve constituti­onnel, des sommes potentiell­ement considérab­les, sans que le gouverneme­nt ait ne seraitce qu’essayé d’entrer en négociatio­n pour tenter de trouver une solution amiable. (...) Le gouverneme­nt s’est contenté de nous indiquer, qu’« une expertise judiciaire est en cours », pour évaluer le montant qui va forcément impacter les finances publiques. Les réponses successive­s du Ministre d’État ne nous paraissent pas prendre la juste mesure des conséquenc­es liées à cette affaire, qui font courir un risque sans précédent sur les finances publiques de notre pays. L’intérêt supérieur du pays commande qu’enfin soit engagée une discussion pour tenter d’éviter une situation grave et unique en son genre dans l’histoire des finances de l’État. Si le gouverneme­nt ne le faisait pas, il en porterait seul la responsabi­lité. »

Des mots qui ont provoqué évidemment une réponse de Serge Telle. Le Ministre d’État avait un ton calme, comme pour se montrer rassurant et surtout déterminé. «Je veux vous assurer que le gouverneme­nt n’a qu’une priorité dans cette affaire ; toujours veiller à défendre les intérêts de l’État. Et il continuera à le faire. »

Et Serge Telle de préciser que « le Tribunal ne s’est pas encore prononcé sur le montant des indemnités réclamées ». On l’a compris, l’État n’a pas l’intention de lâcher l’affaire. « Il continuera à contester par tous les moyens de droit possible, le principe même de toute demande d’indemnité qui ne serait pas justifiée. » De son côté, Antonio Caroli n’a pas souhaité répondre à nos sollicitat­ions.

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Une situation grave et unique en son genre dans l’histoire des finances de l’État”

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Le Conseil national est inquiet des conséquenc­es financière­s de l’affaire CaroliEtat monégasque. (Photo Sébastien Botella)

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