Monaco-Matin

Le facteur a un message pour vous...

Jean-Luc Grégoire – emblématiq­ue facteur du quartier de la vieille ville – part à la retraite. Il aura passé 30 ans au service des Mentonnais. Avec pour signe distinctif son inimitable… sifflement. Rencontre

- Texte : Stéphanie WIÉLÉ Photos : Jean-François OTTONELLO

On aura pourtant tout essayé. En rigolant. L’air de rien. Ou en feintant l’indifféren­ce. On a même tenté de se faire oublier. Rien n’y a fait. Jean-Luc Grégoire – baptisé affectueus­ement « le rossignol » – ne chantonne pas comme ça à la demande ! « Normalemen­t, je siffle tout au long de ma tournée. C’est une façon d’annoncer aux habitants mon arrivée. Mais là, vous êtes avec moi. C’est un peu différent », livre l’historique facteur de la vieille ville, dans un timide sourire.

En fin de semaine, cet oiseau rare va quitter le nid profession­nel et voler vers d’autres horizons ! Âgé de 60 ans, le Mentonnais part à la retraite après avoir travaillé plus de trente ans pour La Poste dont vingt-cinq ans au service des habitants de la vieille ville de Menton. Ces derniers jours, il a réceptionn­é de nombreuses missives. Cartes et petits mots doux de la part des riverains. « Je suis ému et touché de l’attention que l’on me témoigne. C’est une page qui se tourne… » Dans quelques semaines, le tout jeune retraité va emménager à Saint-André-de-la-Roche et s’adonner à sa passion : le jardinage. Originaire des Vosges, Jean-Luc Grégoire a commencé comme facteur à Paris. « J’étais dans le quartier des Buttes-Chaumont. Mais j’avais envie de soleil et j’ai été muté à Menton. » En février 1986, il arrive dans la cité en pleine tempête de neige ! « Il y avait tellement de glace sur les trottoirs que je n’ai pas pu distribuer le courrier durant plusieurs jours » ,se remémore-t-il. Quartiers de Garavan, du Borrigo ou du Careï… Jean-Luc Grégoire a sillonné toutes les rues et impasses de la cité durant huit ans. Il a même arpenté les rues de Castellar, Castillon, Gorbio et Sainte-Agnès.

« J’étais tellement bien à Menton que j’ai même refusé un poste à Bastia. »

En 1994, il devient le « messager officiel » du quartier de la vieille ville. De la rue de la Conception, en passant par les rues de Bréa, Gallieni, Pieta ou Longue… Depuis plus de deux décennies, le facteur nourrit quotidienn­ement plus de 700 boîtes aux lettres affamées. Et le facteur connaît tellement bien l’appétit de chaque riverain que la plupart ne jugent même pas utile d’inscrire leur nom sur la boîte. « Je me souviens de tout le monde ! Mais je n’ai pas de mérite car je travaille ici depuis tant d’années », livre-t-il modestemen­t. Des boîtes aux lettres « anonymes » qui risquent d’être à la diète ces prochaines semaines. «Il est certain qu’avec mon départ, il va falloir que certains riverains changent un peu leurs habitudes pour continuer à avoir leur courrier ! », confie-t-il dans un rire. Jean-Luc sera bien sûr remplacé. Mais le nom de son successeur ne sera pas connu avant la fin du mois.

Ce jour-là, Jean-Luc Grégoire entame l’une de ses dernières tournées non loin des Pénitents Noirs. Toujours à pied. « J’aime faire le même parcours. En général, je commence rue Gallieni et je termine par la rue Longue car j’ai moins de marches à monter ! » Une enveloppe par-ci. Un colis parlà. Il caresse les têtes des chats du quartier en guise de droit de passage dans les impasses. « Ici, il y a des étudiants de Sciences Po. Là, la dame vient juste de perdre son mari… », commente-t-il. Mariage, divorce, déménageme­nt… il connaît tous les faits de vie des habitants. Et parfois, il est aussi porteur de mauvaises nouvelles. «Je me suis lié d’amitié avec beaucoup d’anciens de la vieille ville. Tous les mois – depuis vingt-cinq ans – une personne décède dans le quartier. Malgré les années, la tristesse reste la même. »

Ce jour-là, près de la place de Conception, le facteur salue les riverains qu’il croise et les interpelle – au loin – par leur nom de famille. Au niveau de l’église Saint-Michel, il

‘‘ Je me suis lié d’amitié avec beaucoup d’anciens”

reconnaît Cesarina, l’une des habitantes de la rue Longue. « Vous avez une lettre… », annonce-t-il en fouillant dans son épaisse sacoche de cuir. L’habitante le remercie et ne peut s’empêcher d’avoir quelques mots pour lui. « Vous allez vraiment nous manquer!» Le facteur lui fait un signe de tête reconnaiss­ant. Sur le pas de sa porte, Pascal, un autre habitant, confie avoir « un vrai pincement au coeur ». Alors que Jean-Luc Grégoire s’est éloigné, Pascal ajoute en aparté : « Humble et modeste, il représente un ancien modèle de facteur. Il livre le courrier mais il ne fait pas que ça et il rend service à tout le monde ! »

Quelques boîtes aux lettres « anonymes » plus tard, Jean-Luc Grégoire toque à la porte de Sylvie Mathieu. « Quelqu’un a déposé un colis devant chez vous… », informet-il en élevant légèrement la voix. La Mentonnais­e ouvre la porte et apprend avec stupeur l’objet du reportage pour Nice-Matin… « Ce n’est pas vrai ! Vous partez à la retraite ? » Riveraine de la vieille ville depuis quarante ans, Sylvie a toujours connu le facteur… et son signal singulier. « Ça va me manquer de ne plus avoir ce sifflement que j’entends depuis ma fenêtre… Vous êtes une figure de la vieille ville ! », s’exclame-t-elle avant de le féliciter pour sa retraite imminente.

C’est tout un quartier qui salue le départ du discret messager. Un facteur essentiel… de lien social. Et juste avant de ranger son épaisse sacoche de cuir, Jean-Luc Grégoire adresse un ultime message aux habitants. « Si vous pouviez mettre vos noms sur les boîtes aux lettres pour aider mon successeur… », suggère-t-il dans un éclat de rire. En espérant que tout le quartier accuse réception de la demande !

‘‘ Je siffle tout au long de ma tournée, une façon d’annoncer mon arrivée”

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 ??  ?? Jean-Luc Grégoire a sillonné les rues de la vieille ville durant vingt-cinq ans. À la fin de la semaine, il prend sa retraite.
Jean-Luc Grégoire a sillonné les rues de la vieille ville durant vingt-cinq ans. À la fin de la semaine, il prend sa retraite.

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