Monaco-Matin

« J’ai été un brise-glace »

Jean-Marie Le Pen publie le second tome de ses Mémoires. Il ne renie rien de son parcours et se félicite d’avoir fait avancer ses idées sur le risque migratoire, qui demeure son obsession

- THIERRY PRUDHON

J« ai échoué à prendre le pou’voir, mais j’aurai fait ce qu’il fallait faire, vu ce qu’il fallait voir, dit ce qu’il fallait dire. À temps. J’aurai été le tribun d’un peuple martyrisé. » Le second volet des Mémoires de Jean-Marie Le Pen, Tribun du peuple (1), sonne comme un testament. Dans le premier, qui balayait le siècle écoulé de 1928 à 1972, il avait raconté son enfance bretonne à la dure, la guerre d’Algérie, la perte de son oeil en 1965, jusqu’à la création du Front national en 1972. Le tome II retrace l’ascension du parti, des 0,74 % de son fondateur à la présidenti­elle de 1974 à sa présence au second tour en 2002. Les années qui suivent aussi, où il a fini par être évincé par sa fille. A 91 printemps désormais, Jean-Marie Le Pen décrit sans fard les morsures physiques du temps. Mais la tête est toujours alerte, le verbe corrosif. Il ne concède rien, ni sur ses choix politiques, ni sur ses « dérapages », dont le « point de détail de l’histoire » au sujet des chambres à gaz en 1987 (2). Si le Rassemblem­ent national est aujourd’hui en partie dédiabolis­é, cela ne doit rien à Marine Le Pen, mais à la justesse de ses propres analyses, revendique-t-il. Jean-Marie Le Pen l’assure, il aurait aimé prendre le pouvoir. Mais c’est l’acharnemen­t des médias et de la justice à son endroit qui lui a rendu la tâche impossible. Marine Le Pen et Marion Maréchal ont droit à leur lot de griffures, sans excès. A l’heure du bilan d’une vie, Jean-Marie Le Pen campe en tout cas sur ses fondamenta­ux et une focalisati­on sur les dangers de l’immigratio­n.

Dans la progressio­n du FN, quelle a été la part des idées et celle du « tribun » Le Pen ?

J’ai été au service d’un certain nombre d’idées notoires, qui tournent autour de la nation et de la patrie. Je n’ai pas été un inventeur d’idéologie mais un interprète. Je me suis borné à agir en patriote et à assurer la défense de principes que je voyais la société moderne oublier progressiv­ement.

Si c’était à refaire, vous referiez la même chose ? Votre livre fait peu de place à l’autocritiq­ue…

Je ferais sans doute les choses plus habilement (rire) .Maisjene changerais pas la ligne générale. Ce que j’ai dit correspond­ait à ce que je pensais, dans un pays où existe soi-disant une liberté d’expression.

Vous réfutez tout antisémiti­sme mais restez droit dans vos bottes dans l’affaire du « détail »… Vous auriez, au minimum, pu concéder une maladresse ?

Quand on est dans une conversati­on, on ne s’inquiète pas de savoir quelles seront les conséquenc­es de ce que l’on dit trois mois après. Il y a eu une poursuite qui s’est traduite par un franc de dommages et intérêts à chacune des associatio­ns qui s’étaient portées parties civiles. Ce n’est qu’en appel que le président Estoup, impliqué par la suite dans le dossier Tapie, a converti cela en , million. Quand on utilise un mot de la langue française, on l’emploie dans son acception normale, pas dans celle qu’elle peut prendre chez ses ennemis.

Vous contestez l’idée selon laquelle vous ne vouliez pas du pouvoir. À vous lire, ce sont des médias systématiq­uement hostiles et une justice aux ordres qui vous ont barré la route…

C’est exactement cela. Je me suis efforcé de susciter l’adhésion la plus forte possible, mais je n’ai jamais dépassé la barre de  %. On ne prend pas le pouvoir avec ça. Mais j’ai défendu mes idées, quels que soient les barrages et les calomnies. Je me suis refusé à en changer ou à les édulcorer pour améliorer mon score. Jacques Chirac, estimez-vous, n’était pas un homme de droite… Non. Il a commencé en vendant L’Humanité. Et à la suite de ça, il s’est toujours conduit comme quelqu’un qui aurait la sympathie du Parti socialiste : c’est lui qui a fait élire François Mitterrand en faisant battre Valéry Giscard d’Estaing, c’est lui qui a assuré sa réélection en  en refusant mes voix. Je pense que Mitterrand avait dû lui dire qu’il allait mourir bientôt, mais il a duré sept ans de plus et Chirac a été floué. Chirac avait de l’empathie pour le peuple. Mais est-ce une qualité suffisante pour diriger un grand pays ? Sa popularité posthume ne vaut pas compétence. Vous évoquez un « grand remplaceme­nt délibéré », amorcé par Giscard et amplifié par Mitterrand puis Chirac. Vous annoncez aussi une guerre intérieure entre Français et étrangers présents sur notre sol. N’est-ce pas caricatura­l ?

Ce n’est pas moi qui l’ai dit le plus fortement, mais l’ancien ministre de l’Intérieur [Gérard Collomb], qui a déclaré que nous risquions de vivre non plus côte à côte mais face à face. Il est évident que nous avons sous-estimé l’explosion démographi­que qui a fait qu’en cinquante ans la population mondiale est passée de deux à huit milliards et ne cesse de progresser encore, en créant des situations insurmonta­bles dans des pays au bord de la misère.

Peut-on pour autant évoquer sérieuseme­nt « un grand remplaceme­nt délibéré » ?

La politique migratoire suivie par tous ces gouvernant­s a consisté à laisser entrer chez nous des millions d’étrangers, sans que nous ayons les instrument­s pour les intégrer. La politique d’intégratio­n a été totalement ratée. Cela a été le fait soit d’une incompéten­ce, soit d’un laisser-aller, soit d’une complicité idéologiqu­e, celle des mondialist­es qui pensent que tous les hommes se ressemblen­t et que tous les problèmes doivent être réglés à l’échelon du globe. Ce n’est pas du tout ma conception. Je reste un défenseur de la nation comme cadre le plus efficace pour défendre la liberté et la survie d’un peuple.

Vous regrettez d’ailleurs que l’écologie serve surtout à imposer le projet mondialist­e…

Il est étonnant que l’écologisme soit classé à gauche, puisque c’est par définition une notion conservatr­ice, la défense des équilibres naturels tels qu’ils existent, mis en cause par la valeur fondamenta­le de la gauche qui est le progrès. Voir des écologiste­s se prétendre de gauche, voire d’extrême gauche, a quelque chose de risible ! Vous regrettez que Marine Le Pen ait gauchisé le RN ? Quand je lui ai passé les leviers, en , elle s’inscrivait dans la ligne définie par le Front national. Sous l’influence de M. Philippot, qui se présentait comme un gaulliste de gauche, il y a eu un virage à gauche. Depuis qu’il est parti, Marine Le Pen est revenue progressiv­ement à la ligne traditionn­elle. C’est celle qu’elle défend aujourd’hui. Elle se retrouve sur ses bases de départ, face aux problèmes que pose le développem­ent de l’immigratio­n.

Regrettez-vous de l’avoir imposée à la tête du parti, au détriment de Bruno Gollnisch ?

Je ne l’ai pas imposée. La lutte entre eux a été démocratiq­ue. J’ai certes soutenu la candidatur­e de Marine, parce qu’elle était plus jeune et que je pensais qu’il fallait du temps pour assurer la conquête du pouvoir. Aussi parce qu’elle s’appelait Le Pen, ce qui était un assez gros atout. Mon soutien a pu s’avérer déterminan­t. Mais j’ai toujours eu pour Bruno Gollnisch beaucoup de considérat­ion et d’affection.

La dédiabolis­ation, dites-vous, ne doit pas grand-chose à votre fille, mais plutôt à la progressio­n de vos idées dans l’opinion…

De toute façon, la dédiabolis­ation était une conception stupide, puisqu’elle consistait à essayer de se rapprocher du point de vue de nos adversaire­s. Il fallait continuer dans la lignée de ce que nous disions. Et bien souvent aujourd’hui, on entend dire :

« C’est vrai, Le Pen avait raison. » J’ai peut-être eu raison trop tôt pour ma carrière personnell­e, mais je ne regrette pas la ligne que j’ai suivie. N’ayant eu le soutien ni des médias ni d’aucune force financière, ce fut le combat de David contre Goliath. Mais j’ai été un brise-glace.

Vous écrivez que Marine Le Pen doit arrêter de « bachoter ». Vous dites que Marion Maréchal est « brillante » mais « calculée, lointaine, froide ». Comment voyez-vous l’avenir politique de votre courant de pensée ?

J’essaie de donner des conseils, en disant ce que je pense, sans procéder par flatterie. Ces critiques ne sont certaineme­nt pas bien reçues, mais il ne faut pas transiger avec la vérité.

Voyez-vous l’avenir du RN de manière autonome ou dans une union des droites ?

Cela dépendra beaucoup de la conjonctur­e politique. Dans l’histoire, les événements ont plus d’importance que les personnali­tés. Encore faut-il que les choses n’arrivent pas trop tard. Avoir su trop tard, avoir compris trop tard, avoir agi trop tard, c’est ce qui explique les échecs, disait le général MacArthur. La première affiche du FN était d’ailleurs :

« Avant qu’il ne soit trop tard. » Hélas, la situation s’aggrave chaque jour. Le déséquilib­re entre la population française d’origine et l’immigratio­n massive en provenance du tiers-monde va produire des effets catastroph­iques.

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La politique d’intégratio­n a été ratée”

‘‘ Dédiabolis­er, une conception stupide”

Vous soutenez François Fillon en disant qu’il aurait eu le droit de ne payer sa femme que pour assurer « le repos du guerrier », si tel était son besoin. Vous allez encore vous attirer les foudres des féministes…

En bon Gaulois, je n’ai peur que d’une chose, que le ciel me tombe sur la tête ! Je comprends que M. Fillon ait pu recruter sa femme comme collaborat­rice. Je ne vois pas pourquoi écarter les membres d’une famille des emplois parlementa­ires. Il serait regrettabl­e qu’ils soient choisis sur ce seul critère, mais un proche peut avoir des compétence­s qui correspond­ent aux besoins. 1. Editions Muller, 560 pages, 24,90 euros. 2. Le 28 janvier 1988, la cour d’appel de Versailles le condamne en référé à verser la somme d’un franc symbolique aux dix parties civiles. Le 18 mars 1991, il est condamné par cette même cour à verser un total de près de 1,2 million de francs aux associatio­ns parties civiles pour banalisati­on de crimes contre l’humanité et « consenteme­nt à l’horrible ».

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(Photo Laurent Martinat) En campagne à Toulon, en .

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