Pourquoi la 5G pose tant de questions
Lors des Assises de la sécurité, des experts ont échangé sur l’arrivée de cette nouvelle génération de communication mobile. Un sujet technique, technologique, économique et géopolitique
La 5G fascine autant qu’elle inquiète. Fascine pour sa rapidité décuplée et sa faible latence. Fait peur pour ses potentiels risques sanitaires et de cybersécurité. Le débat entre détracteurs et défenseurs est aussi bien nourri par les monstrueux enjeux économiques qui en découlent que par la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis. Car c’est le géant chinois et leader des réseaux mobiles, Huawei, qui déploie la 5G. À l’instar de Monaco, déjà couverte en intégralité. Trois experts ont débattu du sujet lors des Assises de la sécurité. «Un feuilleton non seulement technologique mais aussi économique et géopolitique qui dépasse le simple cercle des spécialistes des télécoms », a introduit la modératrice du débat.
■ Peut-on parler de révolution technologique ?
Pour les experts de la table ronde, cela ne fait guère de doutes, la réponse est « oui ». « Avant, on savait vous localiser à un niveau horizontal. Là, on saura dire à quel étage d’un building vous êtes, sans avoir à rajouter d’antennes », confie SwitHak, professionnel de la sécurité informatique. Lequel nuance toutefois : « Avec les ondes millimétriques, il y aura certes plus de débit mais les ondes seront cassées par les éléments du décor, les bâtiments et même la pluie. »
■ Pour quels usages ?
« C’est un réseau aussi efficace que la fibre et qui est sans fil. N’importe quelle machine industrielle devient autonome et pilotable à distance sans la contrainte d’une connexion fixe », nous expliquait Martin Péronnet, directeur général de Monaco Telecom. Pour les experts interrogés, la 5G semble plus intéressante pour les entreprises que pour le particulier. « En tant que particulier, si vous voulez faire de la réalité virtuelle, oui ça sera forcément plus sympa », confie SwitHak. Teodor Chabin, responsable de la sécurité des systèmes d’information (RSSI) chez Thales, embraye : « L’objectif de la 5G, c’est clairement d’attaquer le monde du business. En tant que RSSI, l’idée est de changer la façon dont était déployé le cloud au sein des entreprises mais également de changer une partie des réseaux locaux. »
■ Le contexte géopolitique
Il est tendu. Pour faire simple, Washington accuse son rival chinois d’utiliser Huawei pour intégrer des « portes dérobées » dans les réseaux 5G, en vue d’espionner les communications des pays concernés. Audelà de l’intérêt de la défense nationale, Julien Nocetti, chercheur à l’IFRI, spécialiste de la cyberconflictualité et de la diplomatie du numérique, y voit un autre facteur : «Donald Trump a été le premier à politiser de façon outrancière ce dossier de la 5G et de Huawei. La susceptibilité de l’administration américaine est aussi liée à la montée en gamme de Huawei dans le marché des smartphones et des câbles sous-marins », argumente-t-il. Un bras de fer qui dévoile aussi la volonté de Washington de conserver une mainmise numérique sur le marché européen. Les ÉtatsUnis ont littéralement menacé l’Allemagne, entre autres, de couper les flux de renseignements s’ils faisaient les yeux doux à Huawei. Un chantage inédit. ■ Quels sont les risques techniques ?
« Il y a deux principaux risques : l’espionnage et le sabotage, argumente Julien Nocetti. La Chine pourrait, par exemple, protester contre le positionnement français et allemand sur la minorité ouïgoure et pourrait couper les réseaux 5G dans ces pays. Il y a une part d’extrapolation et de spéculation car ces réseaux ne sont pas encore déployés. Mais c’est tout à fait plausible. »
Pour les RSSI, la 5G bouleverse leur travail quotidien. « Que ce soit Huawei ou Nokia, finalement ça ne change pas grand-chose. La question est de se demander si on a une souveraineté ou pas. Si ce n’est pas le cas, il faut faire confiance à des organismes nationaux ou européens qui gèrent la cybersécurité. Il faut sortir du côté émotionnel du contexte sino-américain, se concentrer sur les problématiques de cloud dispersé et du réseau local qui risque de disparaître sur certains sites », martèle Teodor Chabin.
■ Faut-il s’inquiéter pour notre santé ?
En Principauté, c’est l’épouvantail du risque sanitaire qui est brandi par les détracteurs de la 5G. En bref, les ondes sont-elles dangereuses pour notre santé ? Du côté de Monaco Telecom et du gouvernement princier, la réponse est non. Deux arguments sont donnés : les ondes sont les mêmes que la 4G et la 3G et les normes monégasques d’émissions seraient dix fois plus restrictives que celles européennes. Julien Nocetti y va de son analyse : « A ce jour, il n’y a pas de consensus sur les risques posés en matière de santé, à la fois des communautés scientifiques et des gouvernements. D’abord, on n’a pas de recul et puis, surtout, il y a de très forts enjeux commerciaux avec des attributions de fréquence 5G à plusieurs milliards d’euros. Le débat sur la 5G est très polarisé du fait du poids des grands acteurs économiques dans celui-ci. Il n’y a pas d’études indépendantes qui fassent référence. Le sujet est encore très émotionnel. »
■ La suite ?
La 5G n’étant qu’à ses balbutiements – excepté à Monaco où elle couvre l’intégralité du territoire – on parle déjà de la… 6G. « La seule chose qui en ressort, c’est qu’elle aura un débit 100 fois plus élevé que la 5G », confie SwitHak. Huawei parle même d’une utilisation possible dans… l’espace.