Monaco-Matin

Insatiable aventurier

Plus jeune explorateu­r à rallier le pôle Sud, seul, sans assistance, ni ravitaille­ment, Matthieu Tordeur était à Monaco pour les Assises de la sécurité

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIBAUT PARAT tparat@nicematin.fr

C’est un jeune homme de 27 ans, assoiffé d’aventures. Jamais rassasié tant qu’il n’a pas découvert une nouvelle terre, des visages inconnus. Le tutoiement facile et une bonhomie contagieus­e, Matthieu Tordeur est le plus jeune explorateu­r au monde à avoir rallié le pôle Sud (1 130 km). Seul, sans assistance et sans ravitaille­ment. Un exploit que peu de personnes au monde ont accompli. À pied, à vélo, en kayak, en 4L, à ski, à cheval, à moto, à la voile, ce globe-trotter endurci et membre de la Société des explorateu­rs français a traversé 90 pays, un océan, des déserts. En conférence à Monaco pour les Assises de la sécurité, il a évoqué sa gestion du risque.

Un explorateu­r aux Assises de la sécurité, c’est quoi le lien ?

Ça m’a surpris car le domaine d’activité n’est pas le même. Finalement, des ponts se font entre mon monde d’aventures et celui de la sécurité, de la défense et

‘‘ du risque. Il voulait quelqu’un hors du cadre. En expédition, je me confronte à des risques et dangers. Je les mitige en m’entraînant, en me préparant. Je suis intervenu sur cette vision du risque, ma gestion du danger, en me basant sur mes expédition­s. Je ne suis pas un spécialist­e du risque mais mes voyages en comportent : la météo, le terrain, le climat parfois peu sécuritair­e (Kurdistan irakien, nord du Pakistan, Corée du Nord). Qu’on soit aventurier ou à la tête d’un organisme de sécurité, on est face à des problémati­ques communes.

Comment devient-on aventurier ?

Il n’y a pas d’études particuliè­res (rires) .Onle devient par la force des choses. Il y a dix ans, je ne me suis pas dit « Je veux devenir aventurier » mais plutôt « J’ai envie de vivre des aventures et ce serait génial d’en vivre ». Cela prend du temps. C’est le fruit d’une passion, d’expérience­s et une multitude d’expédition­s qui fait qu’on gagne en légitimité. C’est comme ça qu’on se dit aventurier. C’est un mot un peu fourre-tout… Je l’utilise car c’est la meilleure façon de me définir. Finalement, je réalise aussi des documentai­res, des livres, je fais des conférence­s, des photos.

Un peu de journalism­e, aussi ?

Petit, je voulais être Tintin : un reporter. Que ce soit en Asie ou en Europe, je me mets dans des postures pour être seul sans jamais vraiment l’être. Plein de rencontres se font – sauf en Antarctiqu­e où il n’y avait rien – d’où le cadre journalist­ique. Mes parents, médecins et voyageurs, nous ont ouvert l’esprit. Ils prenaient un mois de leur temps pour des missions humanitair­es. J’ai grandi avec ça.

En ralliant le pôle Sud en  jours, seul, sans assistance et sans ravitaille­ment de nourriture, vous devenez le premier Français et plus jeune explorateu­r au monde à le faire… Pourquoi ce challenge ?

C’est une bonne question quand on sait qu’il fait froid, que c’est tout blanc et qu’il n’y a pas grand-chose (rires). C’est le continent le plus sec, froid et venteux et, par nature, le plus hostile de la planète. Depuis tout jeune, je suis fasciné par cette immense tache blanche en bas de notre planisphèr­e, cette dernière terre un peu inexplorée. Tintin n’est jamais allé en Antarctiqu­e. Les premières personnes ont atteint le pôle Sud en . J’ai grandi en lisant les récits d’explorateu­rs : Robert Falcon Scott, Paul-Émile Victor, JeanLouis Étienne, Roald Amundsen, Ernest Shackleton… Je me suis toujours dit que ce serait mon tour un jour. C’est inexplicab­le, voire irrationne­l tellement le lieu est hostile. Dans ce terrain vierge, on a l’impression d’être un peu le seul homme sur Terre, de voir le monde tel qu’il était il y a   ans. J’avais aussi cette curiosité d’expériment­er la solitude. Cinquante jours pour moi, c’était

du luxe.

Vous disiez justement que ce n’était ni une quête, ni une retraite, ni une fuite en

avant…

Il n’y avait pas de dimension spirituell­e ou méditative. Ce n’était pas, non plus, une fuite de ma vie en France. J’aime autant le départ en Antarctiqu­e que le retour en France. Quand on se retrouve tout seul, sans aucune rencontre possible, on va chercher en soi des choses qu’on n’irait pas chercher autrement. On est seul face à soi, ses propres doutes, ses propres forces. On se découvre. Ce type d’expédition, c’est  % dans les jambes et  % dans la tête.

Les sens sont mis en hibernatio­n”

Qu’est-ce qui vous a le plus manqué ?

Les choses qu’on prend pour acquises, ici. Le fait de ne pas avoir la nuit. D’habitude, elle rythme les journées. Avec l’été austral, il faisait jour tout le temps. C’était très artificiel, ma montre me guidait. La nourriture fraîche, aussi, et les arbres. L’Antarctiqu­e est un environnem­ent stérile avec très peu d’odeurs, de couleurs. Les sens sont mis en hibernatio­n. La nuit, le cerveau décompense car sans couleurs et sans bruits, il n’est plus stimulé. Là-bas, je n’ai jamais autant rêvé.

On parle beaucoup de l’empreinte néfaste de l’homme sur la planète. C’est quelque chose que vous avez ressenti ?

Je ne suis pas un spécialist­e du climat et de l’environnem­ent. Mais au Groenland, où je m’entraînais pour cette expédition, des Inuits sur la côte est me racontaien­t que le glacier fondait d’année en année. Ils le subissent de manière frontale. Dans les déserts au Soudan, il y a des tempêtes de sable de plus en plus fréquentes – ce n’est plus un événement ponctuel – des villages sont de plus en plus grignotés par le désert, il y a de moins en moins d’eau. Il y a aussi la pollution plastique, surtout immergée. La majorité est peu visible car c’est du microplast­ique. Cette année en Antarctiqu­e, même si je n’ai pas le recul, il a fait extrêmemen­t chaud pendant un mois. Les températur­es évoluaient entre - et -°C, là où il faisait - à -°C. Ce fut un vrai problème pour moi. L’atmosphère était chargée d’humidité et les précipitat­ions se sont transformé­es en neige. Quand tu traînes, en ski,  kg sur le traîneau, ça te ralentit. La majeure partie des expédition­s ne sont d’ailleurs pas arrivées.

Quel est votre mode de vie pour réduire votre empreinte carbone ?

On est tous plein de paradoxes. En arrivant en avion sur l’Antarctiqu­e, mon expédition a un bilan carbone désastreux. Après, tout dépend du sens que l’on met dans son activité. Mon terrain de jeu est la nature et les déserts. J’y trouve du sens car j’arrive à en

‘‘ parler à un large public. Je fais beaucoup d’interventi­ons éducatives et pédagogiqu­es en écoles sur le dérèglemen­t climatique, la fonte des glaces, l’Arctique et l’Antarctiqu­e. En entreprise, je raconte ce qu’il s’y passe. J’essaye d’être actif sur ma zone d’influence et sur mon mode de vie. Mais c’est vrai que je prends l’avion…

Le voyage est-il une forme d’éducation au respect de l’environnem­ent ou contribue-til davantage à sa dégradatio­n ?

On est de plus en plus déconnecté de la nature. Voyager, voir des animaux te reconnecte. C’est forcément bénéfique. Plus tu voyages, plus tu as envie de protéger la nature autour de toi. Il faut se poser la question de savoir si ça a du sens de partir trois jours à Istanbul. Peut-être que ce weekend peut être mieux exploité avec un voyage en train en France ou dans un pays voisin. C’est un terrain de jeu fabuleux. Je fais partie d’un collectif qui promeut la microavent­ure, le fait de vivre des petites aventures locales, écologique­s, low cost.

Vous avez aussi fait le tour du monde pour la microfinan­ce. Un autre voyage peu banal !

Avec un ami, on a fait un tour du monde en L qui est un bon moyen pour fédérer autour de notre projet. Fort d’une expérience d’un voyage solidaire au Népal, on a voulu ajouter une dimension à notre voyage Le fil rouge était la microfinan­ce. On a récolté   € qu’on a redistribu­és à  microentre­preneurs à travers le monde. Le microcrédi­t est un apport de liquidités pour des gens exclus du système bancaire classique, soit trop pauvres pour que les banques leur prêtent, soit des gens sans papiers d’identité. On a pu se rendre utile à notre échelle.

La nuit m’a manqué en Antarctiqu­e”

Un prochain projet envue?

Après mon retour d’Antarctiqu­e et un documentai­re pour Ushuaia TV, projeté dans les festivals, je me concentre sur l’écriture d’un livre pour Robert Laffont qui sortira fin . L’aventure Antarctiqu­e ne sera pas terminée tant que je n’aurai pas fini ce bouquin. Je savoure d’être revenu avec tous mes doigts, de valoriser cette expédition auprès des gens. Quand ils seront soûlés de m’entendre parler, ça sera le signe de remonter un projet. Peut-être dans le désert ? C’est un environnem­ent propice à la contemplat­ion, à l’introspect­ion. Il faut faire avec ce que tu as dans ton traîneau, bateau ou sur ton dromadaire. Je trouve ça assez inspirant à une époque où l’on est très connecté, où l’on a tout à portée de main.

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