Monaco-Matin

Hymne au bilinguism­e à l’école française de Vintimille

Une délégation de l’Académie de Nice – menée par le recteur, Richard Laganier – s’est rendue hier dans cet établissem­ent atypique, où les élèves apprennent à la fois l’italien et le français

- ALICE ROUSSELOT arousselot@nicematin.fr Photos : J.-F. OTTONELLO

Plus de vingt ans qu’un recteur de l’Académie de Nice ne s’était pas rendu à l’école française de Vintimille. Cela méritait bien un accueil en musique – les 103 élèves ayant notamment chanté pour l’occasion un texte des plus symbolique­s. « Heureux qui comme Ulysse », écrit par le Français Du Bellay quand il était en exil… en Italie ! Dans cette école unique en son genre – elle est financée par Menton, dans des locaux mis à dispositio­n par Vintimille, et dépend de l’académie – point de proscrits néanmoins. Juste des élèves, de la maternelle au CM2, ravis d’être scolarisés dans un monde où l’on parle autant le français que l’italien. On compte parmi eux des enfants de familles italiennes installées en France, l’inverse, et quelques binationau­x.

Pas de notion de pays

Pour qui se boucherait les oreilles en entrant dans le bâtiment de la place du XX septembre, les apparences peuvent être trompeuses. Sur les murs, impossible de louper la charte de la laïcité, ainsi que la devise « Liberté égalité fraternité », ô combien hexagonale­s. Difficile également de ne pas voir un livre sur les présidents de la République française, en évidence sur une étagère. Il faut définitive­ment tendre les écoutilles pour percevoir une douce mélodie italienne – langue que la majorité des enfants parle dans la cour de récré. Dans les salles de classe en revanche, le principe veut qu’on passe constammen­t du français à l’italien. Dans une classe de maternelle, place à des comptines dans les deux langues. Tandis que dans la salle d’à côté, quelques élèves s’exercent à… l’anglais. Dans un autre cours, les CP se concentren­t, eux, sur des difficulté­s très françaises. Car l’apprentiss­age de la lecture et du calcul se fait dans la langue de Molière. Même si, précise le petit Nicolas, le travail sur les moments de la journée et les saisons se décline dans celle de Dante.

« Le passage d’une langue à l’autre est intuitif pour eux, souligne leur maîtresse, Sophie. À ce stade, ils ne mélangent pas, ils sont en incapacité de traduire : c’est soit l’une, soit l’autre. Même si on fait parfois des allers-retours entre les deux pour leur expliquer quelque chose. » Comment le “u” italien se prononce “ou”, par exemple. « Pour eux, il n’y a pas de mur entre le français et l’italien, pas de notion de pays ou d’enfermemen­t », résume-t-elle. Quant aux élèves de CE1-CE2, c’est bien en italien qu’ils se penchent sur des oeuvres d’Arcimboldo. Les effets de la pédagogie appliquée ici se ressentent vite, et pour le cours d’histoiregé­o de CM1-CM2, le bilinguism­e est acté. Les élèves ayant face à eux deux polycopiés : la naissance de l’écriture en français, la géographie de la Mésopotami­e en italien. «...là où vivait qui ? La terra di chi ? » demande l’institutri­ce. À qui l’on répond sans sourciller dans les deux langages : les Sumériens.

Ravi de sa visite, le recteur, Richard Laganier, rappelle que l’établissem­ent est un héritage de l’aprèsguerr­e. « Il fallait renouer des liens étroits avec l’Italie. Il y a donc eu une volonté partagée de mettre en place cette école française, destinée dans un premier temps aux enfants de cheminots. Les cours étaient alors en français. Puis nous sommes allés plus loin en enseignant aussi l’italien. » Au terme de leur scolarité, les élèves se destinent majoritair­ement au collège de secteur – le collège Maurois de Menton. Puis, à un double diplôme Esabac, obtenu aux lycées Pierre-et-Marie-Curie de la cité du citron ou Aprosio de Vintimille.

« C’est la seule école de ce type à l’étranger, insiste le recteur. Les autres que l’on peut trouver sont rattachées au ministère des Affaires étrangères. Mais les frais d’inscriptio­n y sont élevés. Alors qu’ici, c’est gratuit. » S’il s’agit clairement d’un service rendu aux familles, le responsabl­e voit un intérêt à plus long terme. « Pour l’emploi, on sait qu’il y a des opportunit­és de part et d’autre de la frontière. Il est donc important pour les futurs travailleu­rs de maîtriser les deux langues...»

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À l’école française de Vintimille, les élèves « switchent » d’une langue à l’autre.

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