Monaco-Matin

« Nous avons besoin d’une action pacifiste offensive »

Pinar Selek, dissidente turque, réfugiée à Nice, appelle à la création d’un « mur humanitair­e », et exhorte les citoyens européens à manifester leur colère face aux exactions envers les Kurdes

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LECLERC

Pinar Selek est sociologue, docteure en science politique, écrivaine et féministe. Pour avoir travaillé, notamment, sur les Kurdes de Turquie, elle est persécutée dans son pays natal, où elle a été torturée. Réfugiée à Nice, elle enseigne à l’université.

Depuis la France, et Nice, où vous êtes en exil, comment voyez-vous la situation des Kurdes ?

L’affaibliss­ement du gouverneme­nt turc a favorisé cette aventure militaire. Elle peut pourtant accélérer sa fin. Tous ces morts, qui au final ne mèneront à rien : c’est une mémoire de sang qui est en train de se perpétuer.

L’administra­tion Trump a soudaineme­nt lâché les Kurdes, offrant un boulevard à la Turquie dans le Nord-Est syrien. Surprise ?

J’ai plutôt été surprise que des gens soient surpris par ça ! On ne peut pas danser avec les loups, les ÉtatsUnis. Nous ne pouvons pas faire confiance aux grandes puissances qui sont responsabl­es des grands malheurs de notre planète.

Au regard de la politique d’Erdogan, êtes-vous fière d’être turque ?

Je n’ai jamais eu de fierté d’être quelque chose. Je suis et j’aime avant tout être une femme méditerran­éenne. Quand j’étais en Turquie je luttais beaucoup contre ce nationalis­me violent, très patriarcal. Un nationalis­me qui s’en prend aux homosexuel­s, aux hétérosexu­els, aux Kurdes. Ces morts deviennent comme un cancer. C’est la continuité des tentatives perpétuell­es de la Turquie de mettre en place, non seulement un corridor de sécurité dans le nord de la Syrie, mais surtout de gagner du terrain dans cette zone.

Quel avenir pour les Kurdes ?

Nous entendons leur résistance, mais les facteurs dans cette zone sont hélas multiples. Cela dépend évidemment des pays européens, mais aussi de Damas, de Téhéran, de Moscou et des pays arabes. Malheureus­ement, ces Kurdes sont très dépendants des grandes ou petites puissances qui gravitent autour.

Ce n’est pas une affaire de droits humains ou de démocratie. Ce sont les intérêts économique­s qui parlent en ce moment.

Que pouvons nous faire, nous citoyens européens ?

Il ne faut pas attendre ! Toutes les personnes qui croient aux libertés, qui veulent empêcher ces massacres, doivent créer un mur d’humanité. Il y a des manifestat­ions en France et dans le monde entier. Ce n’est pas mauvais mais ça ne suffit pas. Nous avons besoin d’une action pacifiste offensive. La diaspora kurde est en colère, tous les Français devraient être en colère face à ces horreurs.

Les grandes organisati­ons internatio­nales progressis­tes qui luttent pour les droits et libertés, ne peuventell­es pas lancer un appel pour construire ensemble un mur humanitair­e ? C’est très difficile, mais ça peut changer la donne. Quand les pacifistes deviennent plus offensifs que les militaires, l’espoir renaît. »

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(Photo Franz Chavaroche) Pinar Selek.

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