Monaco-Matin

Vladimir Fedorovski : Chirac, ce courageux !

L’ancien diplomate russe a été inspiré par l’attitude de Jacques Chirac lors du putsch avorté de 1991 en Russie. Conférence sur « le roman vrai du Dr Jivago », aujourd’hui à 18 h, à Cannes

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ÀCannes, sa résidence secondaire se trouve à proximité de l’église russe, forcément. Vladimir Fedorovski nous reçoit. Avec une joviale courtoisie propre à tout ex-diplomate, et la truculence d’esprit qui convient à l’écrivain. Il nous promet moult révélation­s fracassant­es sur les coulisses de l’histoire, lors de sa conférence au théâtre Alexandre-III aujourd’hui à 18 h, pour l’associatio­n des conférence­s d’enseigneme­nt supérieur. Mêlant habilement le ton romanesque aux réalités vécues par ce témoin privilégié de la Perestroïk­a, l’ex-conseiller de Gorbatchev et Eltsine nous parle avec enthousias­me de Jacques Chirac. L’ex-Président français lui a inspiré son nouvel ouvrage, « Sur tes cils fond la neige, ou le roman vrai du Dr Jivago », qui paraîtra, demain, aux éditions Stock. Avec quelques exclusivit­és en avant-première pour Nice-Matin ! ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Vous dîtes que c’est Jacques Chirac qui vous a inspiré votre nouveau livre, à l’époque où il est venu soutenir les anti-putschiste­s à Moscou en  ?

Je l’ai connu quand il était maire de Paris, et pendant quarante ans, j’ai entretenu de très bons rapports avec lui, Jacques me tutoyait. À l’époque, j’étais porte-parole des anti-putschiste­s à Moscou et j’appartenai­s à l’aile radicale de la Perestroïk­a mais je croyais que pour nous, c’était terminé, car il y avait 700 000 hommes du KGB contre environ1000 antiputsch­istes. Dès le début, Chirac m’a appelé pour me dire qu’il venait nous soutenir. Il était dans la filiation gaullienne d’une éternelle amitié franco-russe. Quand il est arrivé, nous avions déjà gagné. Après avoir vidé une bouteille et demi de vodka chacun, nous nous sommes rendus sur le tombeau de Boris Pasternak. Là, Chirac m’a dit, en fin connaisseu­r : «lafindu communisme a réellement commencé avec Pasternak. Le Docteur Jivago, c’est mystère, amour, évasion. »

Cette formule m’a inspiré pour écrire mon nouveau livre. Le jour où je l’ai envoyé à Jacques, il est mort deux heures après... ‘‘

Vous dîtes que la victoire finale des anti-putschiste­s contre les réactionna­ires, adversaire­s

de la Perestroïk­a, est due à une femme, et plus précisémen­t à « la béquille de Dieu » ?

C’est une anecdote que je vous révèle. Le matin du  août  à Moscou, une dame allongée sur son lit d’hôpital, digne malgré sa jambe cassée, allume sa télé et voit le chaos dans les rues. Elle prend son téléphone ivoire et joint le chauffeur de sa Lincoln noire blindée, afin qu’il la conduise au Ministère de la Défense. Appuyée sur sa béquille, cette femme est en réalité l’épouse de Dmitri Iazov, Ministre de la défense dans le Comité d’Etat d’urgence. Elle lui dit : « Espèce de connard, si tu tires sur la foule, je te quitte ! ». Penaud, il lui répond :

« Tatiana, ne t’inquiète pas, les chars sont dans la rue, mais ils sont sans munition. » C’était la béquille de Dieu !

Après le putsch avorté en août , Gorbatchev est rétabli mais son pouvoir est affaibli. Ce qui rend la chute du mur de Berlin inéluctabl­e ?

Les gens ne connaissen­t pas la vraie histoire de la chute du mur de Berlin, telle que je la connais. Bien sûr, il y avait l’élan du peuple allemand, mais une décision de Gorbatchev a été déterminan­te en juin. Dans son bureau, deux informateu­rs du KGB font face à Alexandre Iakovlev, véritable penseur de la Perestroïk­a, et Édouard Chrevarnad­ze alors Ministre des Affaires étrangères. Gorbatchev a reçu deux télégramme­s de

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Thatcher et Mitterrand l’incitant à mettre fin aux agitations autour du Mur de Berlin car ils ne voulaient pas de la réunificat­ion allemande, et   soldats sont disponible­s pour une répression. Gorbatchev hésite, retarde sa décision et Iakovlev en profite pour joindre Raïssa Gorbatchev, très influente sur son mari. Il lui dit : « Si nous utilisons la force à Berlin, nous deviendron­s otages de l’armée et du KGB. Dans le meilleur des cas, on sera chassé du pouvoir, mais on risque aussi d’y perdre la vie. »

Le lendemain, Gorbatchev décide que ce qui se passe à Berlin est une « affaire interallem­ande. »

À ce moment-là, le mur de Berlin est déjà tombé.

Par la suite, Gorbatchev n’a pu maîtriser le processus enclenché, qui a conduit à sa propre éviction du pouvoir ?

Aujourd’hui, Gorbatchev est l’homme le plus haï de l’histoire russe. Il est considéré comme un crétin et un traître, de même qu’Eltsine est vu comme un crétin et un ivrogne. C’est une grande injustice. Car si le communisme est mort dans l’ex-URSS, c’est parce que Gorbatchev a cessé de tuer, de faire régner la terreur. Il avait une grande ambition qui frôlait le rêve, mais il a surestimé l’intelligen­ce de l’Occident, qui ne l’a pas assez soutenu. Un jour, l’histoire rendra grâce à Gorbatchev, et je suis fier que nous soyons sortis de ce règne sans effusion de sang. Quant à Eltsine, il était très bon dans l’opposition, mais nul une fois parvenu aux affaires. Cela dit, c’est bien nous qui avons enterré le communisme stalinien.

Gorbatchev, c’était aussi la fin de la guerre froide. Et aujourd’hui ?

La situation est pire que la guerre froide sous certains aspects. On mélange propagande et politique réelle, car les dirigeants finissent par croire à leurs mensonges. Le monde est devenu imprévisib­le. Les États-Unis ont bien essayé de construire un monde unipolaire mais avec l’émergence de la Chine, ils ont échoué. Il y a danger de rupture historique entre la Russie et l’Occident, entre la Russie et la France. On a poussé la Russie dans les bras de la Chine, ce qui est une bêtise monumental­e de l’Occident. Mais Macron a essayé de renouer avec Poutine cet été à Brégançon, et ce dernier était présent aux obsèques de Jacques Chirac. Il y a espoir d’un réchauffem­ent, au nom d’intérêts réciproque­s.

Poutine est-il vraiment l’homme de la situation pour cela ?

J’ai été souvent critique envers lui, mais je fais abstractio­n de l’homme pour l’intérêt national. Il faut être pragmatiqu­e : d’abord, les Russes l’ont élu, et puis il est devenu presque plus modéré que la majorité des Russes ! Ce qui est inquiétant, c’est qu’il n’a pas vraiment préparé sa succession, alors que la Russie doit rester un partenaire pour l’Europe.

Gorbatchev est vu comme un crétin et un traître. C’est une injustice”

On a poussé la Russie dans les bras de la Chine, c’est une bêtise !”

Et Pasternak dans tout ça, contraint jadis de refuser le prix Nobel et dont le Dr Jivago n’est paru qu’en  en Russie ?

Il fut un enjeu de la guerre froide. La CIA avait oeuvré pour qu’il obtienne le prix Nobel. Le KGB a établi une biographie hallucinan­te de Pasternak, jointe en annexe dans mon livre dont le titre, Sur tes cils fond la neige, est un vers de Pasternak, le « Shakespear­e des temps modernes » comme disait Chirac. Dans mon livre, il y a à la fois du roman noir, de l’amour, et un voyage à travers l’histoire, comme chez Pasternak.

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(Photo A.C.) Vladimir Fedorovski : « Mon nouveau livre mêle amour, roman noir et histoire. »
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(DR) Vladimir avec son ami Jacques Chirac en Russie en août .
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