Monaco-Matin

Alexander Samuel, le prof devenu « gaz buster »

Ce Grassois, prof de maths et docteur en biologie, enquête sur les dangers supposés du gaz lacrymogèn­e. Il n’hésite pas à jouer les cobayes dans les manifs, pour des tests sanguins

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Quand il n’enseigne pas les maths au lycée profession­nel Léon-Chiris de Grasse, Alexander Samuel aime s’époumoner dans un micro sur des airs de heavy metal. Mais depuis quelques mois, et la crise des « gilets jaunes », le jeune homme de 34 ans, tignasse rousse en bataille et barbe foisonnant­e, se passionne pour un autre sujet.

Ce docteur en biologie planche chaque soir, une fois les copies corrigées, sur les gaz lacrymogèn­es. Un intérêt qui lui vient des « gilets jaunes ». Ce mouvement, il l’avait d’abord regardé avec circonspec­tion. Sa veine écolo lui soufflait qu’une manif, partie d’une lutte contre la hausse des prix de l’essence, n’était pas forcément une riche idée.

« T’es docteur en biologie ? »

Mais, un certain samedi 23 mars 2019, à Nice, il est venu voir. Le jour où Geneviève Legay a été bousculée par les policiers. « J’étais aux premières loges. » Les lacrymos fusent ce jour-là et une associatio­n l’approche. « T’es docteur en biologie ? Est-ce que tu pourrais nous dire ce que tu penses de ça, vérifier s’il n’y a pas du cyanure ? » On lui refourgue l’échantillo­n sanguin d’un manifestan­t. « Au début, je me suis dit que c’était une fake news. »

Alexander Samuel écoute les « gilets jaunes » décrire les mêmes symptômes : nausées, migraines, vomissemen­ts. Un rapport de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a documenté ces effets secondaire­s.

« Mais qui connaît les effets à long terme du gaz lacrymogèn­e sur la santé, s’interroge Alexander. Il n’existe aucune étude de grande échelle sur la question. » Il souligne qu’à forte concentrat­ion, les gaz peuvent provoquer un manque d’oxygène, une hypoxie. « C’est comme jouer au jeu du foulard toutes les semaines. » Ses recherches lui enseignent que le gaz « CS », utilisé par les forces de l’ordre, ne contient pas de cyanure. Mais qu’un de ses composants, le malonitril­e, se métabolise en cyanure quand il entre dans le corps pour se transforme­r en thiocyanat­e dans l’organisme (lire par ailleurs).

Alexander ne lâche pas. « Le problème c’est l’intensité avec laquelle les forces de l’ordre utilisent les lacrymos, comme jamais auparavant. Ils en balancent parfois trente d’un coup ce qui provoque des concentrat­ions très importante­s. »

Des prises de sang sauvages

Le prof’ achète des tests fabriqués par une société suisse, CyanoGuard, qui permettent de mesurer le taux de cyanure dans le sang. Et organise en parallèle avec deux médecins des prises de sang « sauvages », en plein milieu des manifs parisienne­s du samedi. Des « gilets jaunes » consentant­s participen­t.

Mais l’affaire, relayée dans les medias, lui a valu d’être entendu dans le cadre d’une enquête préliminai­re pour « mise en danger de la vie d’autrui et violences aggravées ». Ni une, ni deux, il joue les cobayes et se jette dans les nuages de gaz, en « gaz buster », pour ensuite analyser son propre sang. Alexander est catégoriqu­e : « Les tests sont concluants. » Il admet que le procédé de l’entreprise suisse n’est pas homologué, mais estime qu’ils sont fiables.

Le doc’ a beaucoup investi en temps et en argent. Il a claqué le bas de laine qui devait servir à refaire son appartemen­t. « Alors je vis dans un chantier », s’amuset-il.

Mais Alexander Samuel continue, soir après soir, à rédiger un mémoire sur la question. Chanter du heavy metal ? Ce sera pour plus tard. Il a fait son choix. « Pour moi, c’est un problème de santé publique. »

 ??  ?? Pour Alexander Samuel, l’utilisatio­n massive de gaz lacrymogèn­e est un problème de santé publique. (Photo Patrice Lapoirie)
Pour Alexander Samuel, l’utilisatio­n massive de gaz lacrymogèn­e est un problème de santé publique. (Photo Patrice Lapoirie)

Newspapers in French

Newspapers from Monaco