Nicole Garcia : « Les noces du cinéma et du roman »
Invitée du festival CinéRoman, qui conjugue cette semaine, à Nice, septième art et littérature, l’actrice et réalisatrice animera une masterclass vendredi, à la Cinémathèque. Entrée libre
Nommée pour le César du meilleur premier film en 1991 avec Un week-end sur deux, elle avait décroché en 1980 celui du meilleur second rôle dans Le Cavaleur. A une dizaine d’années d’intervalle, une double marque de reconnaissance du métier, fait assez rare pour être signalé. Nicole Garcia actrice, Nicole Garcia réalisatrice. Un parcours accompli, au coeur d’une masterclass ouverte à tous, vendredi, à 19 h, à la Cinémathèque de Nice. C’est l’un des rendezvous du festival CinéRoman, premier du nom, qui débute, mercredi, avec Charlotte Gainsbourg et Yvan Attal, et s’achève, samedi, en présence de Roman Polanski et Jean Dujardin.
CinéRoman : un festival de plus ou un sujet de fond ?
C’est une belle idée de célébrer ainsi les noces de la littérature du cinéma. En montrant à quel point des chefs-d’oeuvre du septième art prennent leur source dans l’écriture. Cette alliance inspire tous les réalisateurs du monde. Qui puisent dans les romans une histoire, une situation, des personnages qu’ils ont envie de porter à l’écran.
Vos adaptations de prédilection ?
Je pourrais citer Le Guépard , de Visconti, d’après un roman italien. Mais il y en a tellement… Un film sur deux adapté d’un livre, vous vous rendez compte ? Le grand spectacle : Autant en emporte le vent ou Docteur Jivago .Etdes choses plus intimes. De grands livres ont produit des films merveilleux, mais de petits livres aussi ont inspiré des projets magnifiques.
CinéRoman met en lumière les Studios de la Victorine. Un nom qui résonne ?
La Victorine, pour moi, c’est d’abord François Truffaut. Il n’occupe pas forcément une place de premier plan dans ma vie. Mais je tiens Les Quatre Cents Coups pour un immense film. Un film sur le cinéma, dans le cinéma, pour le cinéma. Et si l’on parle d’une réhabilitation, je trouve merveilleux que des studios puissent exister ailleurs qu’en région parisienne.
Nice, ville chère à votre coeur ?
Mes parents se sont installés à Nice après leur départ d’Algérie. D’une certaine façon, c’est ici que mon père a pu retrouver une sérénité après l’exil. Grâce à Nice, il a pu dépasser la tristesse, le chagrin. Je suis souvent venue les voir avant qu’ils ne me rejoignent à Paris, et je peux dire que j’ai été éblouie, oui, éblouie par la Côte d’Azur. J’ai beaucoup de souvenirs qui me lient en particulier au Vieux-Nice. Raison pour laquelle j’ai tourné ici mon deuxième film, Le Fils préféré, avec Gérard Lanvin, Jean-Marc Barr et Bernard Giraudeau. En revisitant le cours Saleya, la place Garibaldi, le mont Boron, où mon père m’emmenait. Du reste, on retrouve un peu son image dans le quincaillier d’Algérie du Balcon sur la mer.
Balcon sur la mer que vous avez largement tourné sur la Côte ?
Mon scénariste Jacques Fieschi m’avait dit qu’un jour ou l’autre, il faudrait que j’évoque l’Algérie. Ce film en a été l’occasion. Jean Dujardin y est ce garçon venu d’Oran mais qui a occulté cette part de son enfance. Cette douleur de quitter l’Algérie, je ne l’ai pas ressentie par moi-même. Mais je l’ai reçue en héritage. Je m’en rends compte maintenant : la souffrance de mon père, je l’ai portée longtemps.
Avec Jean Dujardin, un lien fort ?
Ma relation avec les acteurs est très importante dans mon cinéma. La manière que j’ai de les regarder, de les pousser dans ce que je crois être leur meilleur, c’est tout le plaisir de la mise en scène. Mon grand atout, c’est d’être moi-même une actrice. Autrement dit, je pars de là. Je crois savoir ce qui aide un acteur, ce qui lui
‘‘ permet de s’accomplir. Il me semble que je fais corps avec lui pendant le film.
Heureuse de le voir naviguer d’un bord à l’autre, ou d’avoir ce rôle important chez Polanski ?
Il a un spectre de jeu incroyablement large. Si vous avez vu Le Daim, Jean est un acteur comique extraordinaire. Il arrive aussi à être ce colonel Picquart qui est une sorte de morale en marche, dans J’accuse.
Et avec Marion Cotillard ?
Quand je vais vers ces acteurs, c’est en leur proposant une partition qu’ils ne peuvent pas refuser. C’est, en tout cas, ce que m’avait dit Jean pour Un balcon sur la mer, comme Marion pour Mal de pierres. Peutêtre,
en se regardant les uns les autres dans les films, savent-ils la part que je leur donne sur le plateau. Avec le goût qui est le mien de les choisir à la fois pour ce que l’on connaît d’eux et pour les emmener ailleurs. Dans des territoires qu’ils n’ont pas encore connus.
Mal de pierres occupe une place à part dans votre parcours ?
Je prenais un jour un vol pour Marseille, un ami venait de me parler de ce roman de Milena Agus. Je l’ai acheté au Relais H, à Orly. En descendant de l’avion, j’ai appelé mon producteur, Alain Attal, pour lui demander si les droits étaient libres. J’ai senti qu’il y avait-là un film. Une adaptation, c’est tellement plus aisé et plus confortable : on n’a pas à se poser la question de la cohérence de l’histoire ou de sa véracité. Tout est dans le livre, on a donc franchi une grande étape, par rapport à la feuille blanche d’un scénario original. L’idée est là, on peut la soupeser au creux de sa main, sentir son poids et sa force. En même temps, elle doit rejoindre ce que l’on a de plus personnel. Ce qui nous hante. Mal de pierres, c’était pour moi. Comme l’était L’Adversaire, pourtant si différent. Dans son roman, Emmanuel Carrère a fait sortir Jean-Claude Romand de la gangue du fait divers pour en faire un personnage tragique. Je connaissais cette histoire, elle m’avait passionnée, mais je n’avais jamais eu envie d’en faire un film. Il a vraiment fallu le livre : nous sommes en plein dans le sujet. L’adaptation.
La souffrance de mon père en héritage”
‘‘ Je suis très amoureuse de mes acteurs”
Actrice, réalisatrice : vous aussi, vous avez défriché un territoire ? J’ai longtemps été seule. Aujourd’hui, nous sommes pléthore. Mais je suis peut-être la seule qui ne joue pas dans mes films. Jean-Pierre Bacri m’a toujours dit que j’étais folle de ne pas écrire pour moi et de me priver ainsi d’un aussi grand plaisir. Mais pour moi, l’énergie de l’acteur et celle de la mise en scène sont presque opposées. J’ai le sentiment qu’en étant actrice de mon film, je perdrais la vue d’ensemble. L’impression de ne pas être à la bonne place. Mais peut-être que je le ferai un jour ?
Vous êtes actuellement en montage. Lisa Redler ?
Je viens de tourner avec Pierre Niney, Stacy Martin et Benoît Magimel. Une histoire romanesque très sombre, un peu thriller, autour d’une femme, objet du désir de deux hommes. Qui, si elle est fatale, l’est pour elle-même. Je connais très bien Benoît Magimel, que je trouve exceptionnel, et même meilleur de film en film. J’ai découvert à quel point Pierre Niney est un immense acteur. Il peut être très drôle, mais toujours avec une grande netteté de jeu. Je suis très amoureuse de mes acteurs.
Et de mes actrices.
La relation est si forte qu’à la fin d’un tournage, contrairement à ce que veut la coutume, je suis incapable de prononcer la phrase « C’était le dernier plan de… ».
Je suis trop émue, j’ai les larmes aux yeux, je laisse à l’assistant le soin de le dire. On sait qu’il faut se séparer, mais une émotion me submerge, déraisonnable. On quitte aussi quelque chose de soi.