Monaco-Matin

CinéRoman à Nice : Polanski « fan de Brice »

Invité du festival CinéRoman à Nice, Roman Polanski y a présenté son nouveau film, « J’accuse ! », qui porte sur l’affaire Dreyfus. Il nous dit pourquoi le sujet lui tenait à coeur…

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE DUPUY jpdupuy@nicematin.fr

Entre Cannes et Nice, Roman Polanski semble jouir d’une forme d’extraterri­torialité qui fait que ses opposant(e)s les plus farouches ne viennent pas lui chercher des noises. Du coup, alors qu’il évite désormais les déplacemen­ts qui pourraient créer de nouvelles polémiques (ou qui présentent un risque d’extraditio­n, comme le Festival de Venise, où il a pourtant décroché le Lion d’argent), c’est toujours avec plaisir que le réalisateu­r franco-polonais revient sur la Côte d‘Azur : « J’y ai tant de souvenirs, entre Saint-Tropez, Cannes et Nice ! Et tous mes amis sont là ce soir. Pourquoi ne serais-je pas venu ? » s’exclame-t-il lorsqu’on fait mine de s’étonner qu’il soit bien là devant nous. A 86 ans, Polanski a toujours l’air du gamin espiègle qu’il a dû être. C’est avec beaucoup de gentilless­e et d’humour qu’il a répondu à nos questions sur son nouveau film, J’accuse !, véritable thriller d’espionnage, dans lequel Jean Dujardin joue le rôle du colonel Picquart. L’homme qui a permis d’innocenter Dreyfus…

Pourquoi revenir aujourd’hui sur l’affaire Dreyfus ?

D’abord, parce que l’histoire est extraordin­aire et que les grandes histoires font les grands films. Ensuite, parce qu’il ne vous a pas échappé qu’on vit aujourd’hui une résurgence de l’antisémiti­sme. Quand on lit ce qu’écrivait la presse à l’époque sur l’affaire, c’est absolument effrayant ! Et aussi parce que les grandes institutio­ns, comme l’armée, la justice ou la presse, n’admettent jamais leurs erreurs.

On va vous reprocher de chercher à faire l’amalgame entre l’affaire Dreyfus et votre propre traitement judiciaire…

Comme si j’avais fait le film pour ça… Bien sûr que non !

Pensez-vous qu’un film puisse faire changer les mentalités ?

Je peux espérer que mon film aura un impact sur les gens, mais je ne me fais pas d’illusion sur le pourcentag­e : il sera minime.

Ce sont plutôt les oeuvres choquantes qui ont de l’influence sur la société.

Quel effet cela vous fait-il de voir désormais vos films qualifiés de « classiques » ?

C’est amusant. Qui l’eût cru ? Mais je suis membre de l’Institut de France depuis bientôt  ans. Ça justifie sans doute qu’on me trouve « classique » (rires).

« J’accuse ! » a-t-il été un film difficile à monter ?

J’ai mis sept ans à le faire.

Mais pas parce que l’histoire n’intéressai­t pas, au contraire. Les premiers producteur­s voulaient le faire en anglais avec une grande

‘‘ star américaine pour les ventes internatio­nales. Mais ça me semblait ridicule de faire parler tous ces officiers français en anglais. Le projet a été mis en sommeil et j’ai eu le temps de faire deux autres films avant qu’un producteur français, Alain Goldman, ne me relance. Du coup, le film a coûté moitié moins cher

[ millions d’euros, Ndlr] et j’ai quand même eu une star oscarisée pour jouer le rôle principal : Jean Dujardin !

Pourquoi lui ?

J’ai toujours pensé que c’était un très grand acteur.

Ça va peut-être vous surprendre, mais je suis fan depuis Brice de Nice. À l’époque, je disais que c’était le meilleur film de l’année, et on croyait que je plaisantai­s. Mais je le pensais vraiment ! C’était une super comédie et lui était vraiment génial. Je savais qu’il pouvait jouer toute sorte de rôles. Physiqueme­nt, il ressemble beaucoup à Picquart.

Et il a le même âge que lui au moment de l’affaire.

Pourquoi avoir choisi le point de vue de Picquart ?

Quand j’ai commencé à travailler sur le scénario avec Robert Harris, avec qui j’avais fait The Ghost Writer, il nous est apparu que pour bien raconter cette affaire, il fallait prendre le point de vue non pas de Dreyfus, qui était pour la plupart du temps sur l’île du Diable, mais de Picquart, qui était au centre de toutes les intrigues et côtoyait tous les protagonis­tes. Dans la profusion des personnage­s célèbres liés à l’affaire, comme Clemenceau ou Zola, il était passé un peu au second plan. Jusqu’à ce que l’histoire lui rende justice à lui aussi. C’était un Juste.

Je suis fan de Jean Dujardin depuis Brice de Nice ”

‘‘

Bien qu’antisémite, Picquart était un Juste ”

Un Juste ? Malgré son antisémiti­sme ?

Oui, c’est possible : la preuve. La vérité et la justice l’emportaien­t sur ses idées antisémite­s. Comme je le disais, tout le monde l’était plus ou moins, à l’époque. Mais lui avait de vraies valeurs.

Louis Garrel en Dreyfus, il fallait y penser : il est méconnaiss­able !

Que vous dites ! Moi, je trouve qu’ils se ressemblen­t vraiment. Regardez [il cherche vainement sur son téléphone une photo de Dreyfus pour appuyer ses dires]. Mais il faut sans doute être réalisateu­r pour le voir. Mes amis aussi sont étonnés… En tout cas, c’est un très bon acteur.

Votre prochain film ?

Je voudrais avoir quelque chose à me mettre sous la dent quand je termine un film, mais en fait ça n’arrive jamais. Je suis incapable de penser à autre chose tant que je n’ai pas terminé tout le travail.

Adapter un roman, c’est une solution de facilité, du coup ?

Depuis Rosemary’s Baby, la plupart de mes films sont des adaptation­s, c’est vrai. Mais c’est surtout que j’ai plaisir à mettre à l’écran une oeuvre qui m’a bouleversé. La plupart des auteurs m’en remercient d’ailleurs. Les autres, comme Shakespear­e, sont morts.

Ils ne peuvent plus se plaindre…

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