Ces champignons redoutables pour les plus fragiles
Très présents dans notre environnement et sans danger pour les bien-portants, certains champignons sont responsables d’infections très graves chez les personnes vulnérables
Il est partout. Greniers, plafonds, climatiseurs, lieux humides comme les salles de bains ou les cuisines… Extrêmement répandu, Aspergillus est un champignon microscopique, dont les spores sont véhiculées par l’air. Impossible dès lors d’y échapper : nous en inhalons tous. « On trouve de 2 à 3 spores par mètre cube en moyenne, beaucoup plus dans des lieux propices aux moisissures. Si l’on est bien-portant, ce champignon est totalement inoffensif ; on crache et on évacue les spores. Et celles qui ne sont pas ainsi évacuées sont éliminées par des cellules spécialisées, les macrophages. Par contre, ce champignon peut mettre en grand danger des patients fragiles ou immunodéprimés, quelle qu’en soit la cause : leucémie aigue, greffe de cellules souches hématopoïétiques ou transplantation d’organes, corticothérapie prolongée…… Chez ces personnes, tous les tissus peuvent rapidement être envahis par ces champignons, engageant le pronostic vital.»
Le médecin qui s’exprimait ainsi à l’occasion d’un congrès à Nice
préside la société française de (1) mycologie médicale, une science peu connue qui étudie les champignons microscopiques. Et si Jean-Pierre Gangneux, souhaite sensibiliser sur ce sujet, c’est pour essayer de prévenir ces risques. « Aujourd’hui encore, les aspergilloses invasives, infections gravissimes provoquées le plus souvent par Aspergillus fumigatus restent heureusement très peu fréquentes. Mais avec l’arrivée massive sur le marché de médicaments modifiant la réponse immunitaire, comme les biothérapies utilisées pour plusieurs pathologies chroniques ( maladies inflammatoires chroniques ou certains cancers solides…), le nombre de personnes à risque de développer ce type d’infections a récemment augmenté. »
Des perspectives inquiétantes, encore assombries par un autre phénomène préoccupant : la résistance accrue des Aspergillus aux médicaments azolés antifongiques. Pour des raisons proches de celles à l’origine de l’antibiorésistance. « L’émergence de cette résistance aux antifongiques est en partie associée à l’utilisation croissante de fongicides (pesticides conçus pour éliminer les champignons parasites des végétaux, Ndlr) ; ces produits chimiques sont très proches des antifongiques utilisés en médecine humaine, d’où des résistances croisées », explique le Pr Gangneux.
Les Pays-Bas, plaque tournante du marché mondial des fleurs, très « gourmandes » en fongicides pour leur culture, figureraient ainsi aujourd’hui en tête des pays les plus touchés par des infections à Aspergillus résistants.
Le réchauffement climatique en cause
Autre infection redoutable chez les personnes fragiles : la septicémie à candida, liée cette fois à une levure (champignon unicellulaire). « Candida auris est responsable d’épidémies hospitalières mortelles à travers le monde. Les victimes sont essentiellement des patients fragiles hospitalisés dans les services de réanimation ; cette levure se transmet très vite d’un patient à l’autre via l’usage de cathéters notamment » .Lamenace est prise très au sérieux. Le 6 avril dernier, le New York Times titrait ainsi à sa « une » : « Une infection mystérieuse recouvre le monde entier dans un climat de secret ». Les secrets sont aujourd’hui en partie levés. « Plusieurs publications scientifiques mettent en cause le réchauffement climatique dans la dissémination de Candida auris » , révèle le Pr Gangneux. Une levure qui n’est pas une inconnue pour les spécialistes. « Dès les années quatre-vingt-dix, on note sa présence en Asie du Sud-Est. Désormais, elle voyage d’un pays à l’autre ».
Très peu de cas ont été rapportés en France, et ils concernaient essentiellement des patients préalablement hospitalisés à l’étranger. « Ce germe est résistant à plusieurs traitements antifongiques, mais dans la plupart des cas, pas à tous, heureusement. Par ailleurs, le risque est faible en France métropolitaine de voir émerger des épidémies à Candida auris ; de nouveaux outils diagnostiques nous permettent en effet d’identifier très rapidement le germe en cause et d’isoler aussitôt le patient. »
Si les épidémies à levures constituent un danger réel pour les personnes fragiles, la France ne reste pas les bras croisés : les hôpitaux consacrent des moyens parfois très importants à la lutte contre ces micro-organismes.
« Inoffensifs chez les bienportants » Pr Jean-Pierre Gangneux
Mycologue