Monaco-Matin

Jean Dujardin : « Je ne suis pas tout le temps en train de faire le con ! »

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Forme olympique pour Jean Dujardin qui, hier matin, s’est accordé un jogging jusqu’au port. L’occasion de quelques photos avec des badauds à Rauba Capeu, devant le logo I love Nice.

« I love Nice ! » , répète avec gourmandis­e notre Brice national. Après son rôle délirant dans Le Daim et a moins de trois semaines du tournage d’un troisième OSS 117, il était invité par le festival CinéRoman à présenter en avant-première un ambitieux (mais nullement prétentieu­x) J’accuse, au côté de Roman Polanski.

Cette nouvelle expérience cinématogr­aphique semble avoir durablemen­t bouleversé le comédien. « J’ai de la chance », avance Dujardin en minimisant son talent. Dans la comédie comme dans la tragédie, il est partout à sa place. Ici, dans celle du lieutenant-colonel Picquart, convaincu de l’innocence de Dreyfus.

« C’est un film de maître, on doit suivre le maître », dites-vous àproposdec­e J’accuse.

Et l’acteur ?

D’une façon générale, c’est toujours le metteur en scène qui raconte. L’acteur, déjà beaucoup à l’image, ne peut pas avoir, en plus, cette responsabi­lité-là.

Effectivem­ent, je prête des émotions. Je suis un passeur. Picquart, un intellectu­el, un lettré, était même un peu jet-setteur avant l’heure. Mais ce n’était pas le film. Il ne s’agissait pas ici de psychologi­e, mais de droiture. Ce soldat est pris en étau entre son parcours au sein de l’institutio­n militaire et la vérité. Entre son amour de la Nation et sa conscience. C’est une belle partition. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’avec un rôle comme celui-là, on va chercher à l’écran le courage qu’on n’a pas forcément dans la vie. Mais ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas souvent l’occasion, dans notre propre existence, de prendre parti. Et c’est très beau, le courage. Ça rend heureux, ça fait du bien. Cette histoire, ce personnage, avec la mise en scène de Roman Polanski, son expérience, avec aussi des acteurs insensés du Français : oui, je suis très, très chanceux.

Avec lui, pas d’à-peu-près ?

En France, nous avons une façon un peu artisanale de tourner : sur un plateau, tout le monde donne son avis. Là, non. Roman Polanski demande le silence, veut du temps. Il a toujours fait ainsi, c’est l’un des derniers grands, grands metteurs en scène qui a prouvé moult fois que sa méthode fonctionna­it. Donc, on le suit. L’accessoiri­ste comme le décorateur, tout le monde doit être au taquet. Si la patine du mur ne convient pas, on la refait. Si un rideau tombe mal, on l’arrange. Si un chien passe dans la rue, on attend. Roman a une palette de couleurs, il est l’artiste et nous sommes ses assistants. Mais ce n’est pas dégradant. On l’accepte. Il nous est arrivé de faire des mises en place d’une heure et demie pour deux pages de texte, et de reprendre trente, quarante fois. On croit qu’il nous épuise, en fait il nous libère. On arrive à un point zéro où l’on ne joue plus. C’est sûrement ce qu’il cherche.

L’effet miroir avec notre époque peut faire peur…

À tel point que l’autodafé de L’Aurore avec l’article de Zola, on l’a tourné deux jours après les croix gammées sur les vitrines de Paris. Quand un haut gradé évoque le « complot de la juiverie internatio­nale », la dégénéresc­ence culturelle ou ce qu’il reste de la France, c’est quasiment avec des mots d’aujourd’hui. Ce qui peut faire peur, c’est que l’on n’en guérisse jamais vraiment. C’est comme une mauvaise histoire qui revient à chaque fois. La xénophobie : tout ce qui n’est pas français pose un problème. Encore plus à cette époque-là. Où l’armée est au centre de tout : elle se prépare pour , on est aux prémices de l’espionnage, elle ne peut pas être coupable. On n’en est plus à la « grande muette », mais ce n’est quand même pas notre truc, la repentance. Les Américains ont une plus petite mémoire : ils peuvent balayer et même en faire du commerce. Le fait est que, chez nous, il y a de la haine de l’autre et qu’elle ressurgit dès que l’on a du mal-être. En tombant sur des communauté­s.

Donc, une chance ?

Vous vous rendez compte ? Je rentre dans la photo. Dans la carte postale ! C’est dans ces momentslà que l’on se dit : je suis à ma place, c’est ce que je voulais faire.

À votre place aussi dans OSS 117 , aux antipodes !

Encore que... On est toujours dans le contre-espionnage. Avec un juste d’un côté, un crétin de l’autre. Le tournage commence le  novembre avec Nicolas Bedos, Pierre Niney, Fatou N’Diaye… On est très excités, mais ce sera beaucoup de travail. De bonnes journées. Il va falloir que je retrouve ce personnage qui m’appartient un peu moins, puisqu’il a fait du bruit, depuis dix ans, et parce qu’il est attendu, je le sais. Je dois trouver aussi un moyen de me réinventer. Si je me réinvente, je m’amuse. Et si je m’amuse, je peux faire rire. Il ne s’agit pas de singer les deux premiers épisodes.

Là aussi, un privilège ?

Oui, ou un tout petit peu de courage ? Ou de liberté ? Même si ces mots ne sont pas tout à fait adaptés. Je me suis autorisé très vite à ne pas m’enfermer dans une seule image. Les acteurs des années soixante le faisaient sans aucun problème, alors pourquoi des chapelles ? C’est comme dans la vie : il y a des moments où j’ai envie de déconner, mais j’ai aussi des zones d’ombre. Et je m’en sers. Je ne suis pas tout le temps en train de faire le con !

Newspapers in French

Newspapers from Monaco