Monaco-Matin

Qwant : enquête sur le concurrent de Google

De révélation­s dans la presse, en audit gouverneme­ntal, le doute s’est installé. Reportage au coeur d’une start-up née à Nice qui ambitionne de devenir le premier moteur de recherche européen

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En ce matin d’octobre, dans les locaux de Qwant, avenue Thiers, à deux pas de la gare, Eric Léandri affiche le visage de l’animal blessé. Mâchoire serrée, air fatigué. Il débarque tout juste d’un avion, venu spécialeme­nt de Paris pour répondre à nos questions. Au mur de la salle de conférence­s sans âme, un message, « Done is better than perfect » : « Fait est mieux que parfait. » Bienvenue dans la start-up nation.

Le patron des lieux, Eric Léandri, tire ses racines de la région du Valinco en Corse du Sud. Un fort en gueule. Il admet luimême qu’à Paris, où se trouve le siège de Qwant, son tempéramen­t apparaît iconoclast­e. « Ce serait mieux si je faisais plus feutré, plus tranquille. Mais je suis comme ça, on ne va pas me changer. » Son logiciel interne ne supporte que la marche en avant. Il est pourtant là en opération déminage.

Un ouragan médiatique s’est abattu ces derniers mois sur sa start-up, au fil de révélation­s souvent alimentées en interne et en externe par des salariés ou ex-salariés. Mediapart, La Lettre A, Nextinpact, Le Canard enchaîné : les enquêtes journalist­iques à charge sont tombées en rafale cet été.

Avec des questionne­ments sur la viabilité économique de Qwant et sur sa technologi­e. Alors, même usé par ces attaques, Eric Léandri se dit prêt à répondre à tout – ses projets globaux, mais aussi cannois et niçois – en toute transparen­ce. « La polémique de l’été, ça m’a touché. Vous voyez bien que je suis à fleur de peau, mais les équipes aussi en ont marre d’être traitées de tout. »

La promesse de l’éthique

Dès ses débuts en 2013, Qwant ambitionna­it d’être le « Google français ». L’éthique en plus. « Le moteur de recherche qui respecte votre vie privée », stipule la page d’accueil. Comment ? Pas de cookies – ces mouchards informatiq­ues qui vous pistent –, pas d’historique de recherche. Ses revenus ? La publicité « contextual­isée ». Chez Qwant, contrairem­ent à Google, on ne vous ressert pas quinze jours plus tard des pubs sur le robot cuiseur que vous avez cherché trois semaines plus tôt dans votre navigateur. Vos activités ne sont pas archivées. La start-up est née à Nice il y a six ans, avec une dizaine de salariés. Elle en compte désormais 150 à Nice, Ajaccio, Paris, Épinal, Rouen. Tambour battant, Eric Léandri l’a engagée dans une démarche de « scale up » : un changement d’échelle et une stratégie d’accélérati­on de la croissance, en particulie­r à l’internatio­nal. « Qwant, le seul moteur de recherche européen », annonce son site. Les vents ont longtemps été portants. Le groupe allemand Axel Springer y a cru en entrant au capital à hauteur de 20 %, tout comme la Banque européenne d’investisse­ment qui a consenti un prêt de 25 millions d’euros ou la Caisse de dépôt et de consignati­ons française qui a pris également 20 % et investi 15 millions dans l’aventure.

Qwant s’enfoncerai­t dans le rouge

Seulement voilà. Sur la Toile, des blogueurs spécialisé­s s’étonnent. Qwant s’appuie ainsi en partie sur Bing, le moteur de recherche de Microsoft, pour compléter certaines requêtes. Récemment, la start-up française a même signé un contrat avec le géant américain pour utiliser son cloud, « Microsoft Azure ». Une entaille dans la souveraine­té numérique tant prônée par la start-up ? L’ancien secrétaire d’État chargé du numérique, Mounir Mahjoubi, avait pourtant vanté Qwant comme une alternativ­e aux Gafam (1). Problème : le « M » de Gafam est bien celui de Microsoft. Début juillet, Le Figaro a publié une enquête sur le flou qui entourerai­t les comptes de Qwant, affirmant que l’entreprise s’enfoncerai­t dans le rouge avec 11,2 millions de pertes. Nextinpact met ensuite en doute la fiabilité des résultats proposés par le moteur de recherche. Et, citant des salariés, évoque un management toxique, voire brutal. « Le problème de Qwant c’est Eric Léandri », confie à Nice-Matin un ingénieur, en off.

« Avec ses effets d’annonce sans fin, sa com à tous crins, ses promesses non tenues, sa fuite en avant, il va couler la boîte. »

Mediapart a par ailleurs révélé que le P.D.G., à la formation d’ingénieur télécoms, a été condamné en octobre 2010 par la justice belge à 18 mois de prison pour recel d’effets de commerce volé. Affaire dans laquelle il avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen jusqu’en 2015. Le tout s’est soldé par un accord entre les parties, moyennant finances. « Ces éléments sont connus tant des associés de monsieur Léandri que des instances administra­tives en charge des agréments de Qwant », avait rétorqué dans la presse son avocat, Me Canu-Bernard. Le patron, lui, nous redit que son « casier est vierge ». Et s’en amuse même : « J’ai un vrai problème en Corse. J’ai dû annoncer que j’avais un casier vierge et que je paye mes impôts. Or, en Corse, avoir un casier vierge et payer ses impôts, ce n’est pas bon pour la notoriété. »

Eric Léandri se dit serein

Malgré la tourmente, Qwant avance. La start-up équipe déjà le ministère des Armées, la ville de Paris, Thalès, Safran, la région Occitanie, l’Assemblée nationale, la ville de Nice, le Crédit agricole, la Caisse d’épargne, la BNP, et bien d’autres. « Michelin arrive », indique le P.-D.G. Le moteur de recherche vient par ailleurs de recruter Tristan Nitot, ancien patron de Mozilla Europe. Eric Léandri se dit serein face au résultat des deux audits lancés, au coeur de la tourmente, par le gouverneme­nt [lire par ailleurs]. Mais ils tardent à tomber, entretenan­t encore un peu plus le climat de malaise.

1. Gafam : Google-Apple-Facebook-Amazon-Microsoft

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(Photo Eric Ottino) Chez Qwant, à Nice.

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