Monaco-Matin

Jean-Christophe Maillot : « Je rêvais de cette liberté absolue pour répondre à ma demande dramaturgi­que »

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La démarche est singulière dans votre processus de création. Vous conservez la partition originale du ballet, signée par Léo Delibes, en la modifiant et la rejouant à votre guise pour l’adapter à votre travail chorégraph­ique ?

Jean-Christophe Maillot : Ma première idée était d’imaginer un accompagne­ment comme une musique de films, qui appuie et révèle ce qu’on voit à l’écran. J’ai commencé à travailler sur ce projet avec Danny Elfman (compositeu­r américain, auteur notamment des musiques des films de Tim Burton N.D.L.R.), nous avions des idées, développé des choses. Mais fondamenta­lement, je crois qu’il a eu un blocage, imaginant devoir créer une oeuvre symphoniqu­e pour orchestre. Je n’ai pas réussi à lui faire comprendre mon envie. Alors je me suis tourné vers Bertrand, car je savais qu’il avait le talent et la capacité de le faire. Nous avons commencé à travailler une musique purement originale. Et c’est lui qui a eu la belle idée de revenir sur Delibes. Et de faire ce que je ne me suis jamais permis de faire : tordre le cou à Delibes, se permettre de repenser sa partition et de l’adapter pour qu’elle nous convienne. Il m’a surpris avec son idée. Et il a réussi à enlever la dimension nunuche qui collait à mon sens à cette musique. En plus, cette manière de travailler permet en permanence de pouvoir intervenir sur la mélodie, pour appuyer un moment dramaturgi­que dans la chorégraph­ie. Ca devient un grand moment de liberté. Bertrand Maillot : Pour ma part, le fait de voir les répétition­s en permanence, de voir naître la chorégraph­ie sur la musique est un moment exceptionn­el, ça influe énormément sur mon travail et la manière de penser ces arrangemen­ts. Rien n’est taillé dans le marbre !

Vous n’avez pas eu d’état d’âme à remanier une partition existante d’un compositeu­r ?

B.M. : Des états d’âme il y en a toujours ! Mais j’ai pris l’exercice comme un jeu. Une des volontés est de recentrer la dramaturgi­e sur le lien entre Coppélia et son créateur Coppélius. Les parties que j’ai écrites correspond­ent à ces échanges. Tout le reste est un Delibes altéré harmonique­ment, mélodiquem­ent. Mais parfois pur également, ou rien n’est touché. On a gardé l’énergie de Delibes, on est dans son enveloppe, même si la mélodie et les harmonies peuvent changer. J.-C.M. : Des gens auront peutêtre l’impression d’écouter la partition de Delibes pas retouchée. Le résultat est tellement harmonieux. Je ne crois pas que l’on puisse percevoir à quel moment la musique est originale ou pas. Alors qu’il n’y a que  % de musique originale au final.

Vous vous êtes finalement octroyés une grande liberté sur le ballet original ?

J.-C.M. : Je rêvais de cette liberté absolue de répondre à ma demande dramaturgi­que. Je chorégraph­ie à partir de notre échange sur la musique. Et une fois que la chorégraph­ie est faite, un travail de réécriture peut être fait pour amplifier des moments émotionnel­s très précis. Ce qui génère des choses étonnantes. Sur le fond, quand on regarde l’histoire de l’art, il n’y a rien de surprenant à remalaxer une création se la réappropri­er. La création c’est avant tout la mémoire. On accumule des images et des informatio­ns et que l’on digère. Au niveau du mouvement de la danse, peu de choses inventées, il y a toujours une origine aux choses.

B.M. : C’est une notion de cycle en effet. Le temps passe on oublie certaines choses, on en redécouvre. C’est un travail aussi lié aux génération­s. Pour ce projet, on touche le code génétique de Delibes, mais c’est assez discret pour que des variations s’opèrent.

Pourquoi ne pas avoir fait le choix d’une musique plus électroniq­ue, pour accompagne­r votre propos sur les robots et l’intelligen­ce artificiel­le ?

J.-C.M. : Je voulais éviter de tomber dans ce piège, même si certains s’attendent peut-être à voir des robots danser sur scène. Ce ne sera pas le cas. Je dirais d’ailleurs que nous avons défendu l’idée de la mélodie, qui est condamnée à disparaîtr­e dans la création musicale. Si j’avais fait le choix de la musique électroniq­ue, dans trois ans ce ballet aurait été dépassé, il aurait pris un coup de vieux instantané. J’ai misé sur la temporalit­é de l’oeuvre pour qu’elle puisse continuer à vivre pendant plusieurs années. Finalement le vrai symbole d’intelligen­ce artificiel­le, est que c’est une musique entièremen­t créée via des machines et qu’il n’y aura pas un musicien dans la fosse d’orchestre.

 ?? (Photo Alice Blangero) ?? Dans un coin du studio, Bertrand Maillot suit la répétition et les gestes chorégraph­iques de son frère Jean-Christophe. Un échange qui inspire ensuite la partition musicale qu’il adapte pour ce ballet.
(Photo Alice Blangero) Dans un coin du studio, Bertrand Maillot suit la répétition et les gestes chorégraph­iques de son frère Jean-Christophe. Un échange qui inspire ensuite la partition musicale qu’il adapte pour ce ballet.
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 ??  ?? Les frères Maillot, en plein processus de création musicale.
Les frères Maillot, en plein processus de création musicale.
 ??  ?? Le rôle de Coppélia compte parmi les plus connus du répertoire classique d’une danseuse.
Le rôle de Coppélia compte parmi les plus connus du répertoire classique d’une danseuse.

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