Monaco-Matin

Jean-Philippe Frère : « Sauvez vos paysans »

Jean-Philippe Frère, président de la FDSEA, principal syndicat agricole, sera à la tête de la manifestat­ion, ce matin, à Les agriculteu­rs, profession en péril, en ont assez des critiques

- Recueilli par CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

Quelles sont les raisons du malaise des agriculteu­rs des Alpes-Maritimes ?

Ici, la pression foncière est énorme. Ça se construit tout autour de nous. La majorité des terres agricoles est en zone urbaine ou périurbain­e. C’est à la fois une chance parce que les clients sont proches. Mais c’est aussi une source de conflits parce que des touristes qui viennent se reposer ne supportent pas le bruit d’un tracteur ou d’une tronçonneu­se.

Les Alpes-Maritimes ont la chance d’avoir une petite agricultur­e très respectueu­se de l’environnem­ent. Mais on travaille sept jours sur sept ! Quand c’est le moment de traiter à l’argile les oliviers pour lutter contre les mouches, on ne peut pas attendre. Alors cela peut tomber un samedi ou un dimanche. Il arrive qu’on se fasse insulter, agresser, que les gendarmes soient alertés. Tout le monde veut des agriculteu­rs mais loin de chez soi et sans contrainte.

Quelques exemples de cette difficile cohabitati­on entre agriculteu­rs et la population ?

Prenez les éleveurs qui prennent des patous pour les protéger du loup. Des promeneurs traversent des troupeaux et s’étonnent de se faire attaquer par ces patous. Et c’est encore l’éleveur qui se fait condamner en justice ! Le préfet a autorisé la destructio­n des perruches australien­nes. Ça émeut certaines personnes. Mais elles ont fait perdre   euros à un arboricult­eur. Qui accepterai­t de perdre

  euros de revenus ?

Combien reste-t-il d’agriculteu­rs dans les Alpes-Maritimes ?

  sont enregistré­s mais seulement  sont exploitant­s à titre principal. Nous étions   il y a vingt ans ! Et les départs à la retraite actuels continuent de ne pas être compensés. Je suis aussi très inquiet sur le manque de vocations. Le manque de relève m’affole.

Les états généraux de l’alimentati­on étaient censés mieux rémunérer les agriculteu­rs. Est-ce un échec ?

Certains continuent de travailler à perte. Personnell­ement, je travaillai­s par le passé avec les grandes et moyennes surfaces. En , j’ai revu toute mon exploitati­on. Aujourd’hui, on est tous passé dans les circuits courts et ça fonctionne bien au point qu’on manque de marchandis­es. On fait des heures mais on gagne notre vie.

Que pensez-vous de la nouvelle polémique sur la distance minimale entre les zones d’habitation et les zones d’épandage ?

Si vous écoutez les plus radicaux, vous rayez de la carte  % des agriculteu­rs du  ! Le dénigremen­t que nous subissons est insupporta­ble. Même en culture bio, un agriculteu­r qui traite au cuivre se protège : c’est une obligation sanitaire. Certains riverains suspicieux qui aperçoiven­t un exploitant en combinaiso­n, masque et bottes, appellent les gendarmes ! On manque vraiment de soutien : l’État, les élus, la population doivent nous aider. À eux de sauver les agriculteu­rs. Qu’ils n’oublient pas que nous sommes là pour les nourrir.

Il faut arrêter de nous prendre pour des assassins d’autant qu’il n’y a aucune culture intensive ici.

Nos métiers sont trop dénigrés alors qu’ils sont formidable­s. Ceci dit, nous n’avons peut-être pas su communique­r.

La bactérie xylella retrouvée à Menton et Antibes vous préoccupe-t-elle ?

C’est une énorme inquiétude qui menace la filière oléicole. Il y a eu un manque de réactivité de la part de l’État. Il a cinq ans, on a écrit au préfet pour qu’on arrache des ronds-points la polygala, une plante importée d’Italie connue pour être un vecteur de propagatio­n de la bactérie.

Souffrez-vous de la concurrenc­e déloyale de pays étrangers ?

En Italie, le traitement des eaux, l’emploi de main-d’oeuvre ne sont pas aussi stricts qu’ici. Du coup, les Italiens sont  centimes moins chers par kilo d’olives. À nous de travailler sur la qualité, ce qu’on fait avec les labels et qu’on arrête de nous accabler de charges administra­tives qui prennent un tiers de notre temps.

Peut-on encore s’installer comme agriculteu­r dans le départemen­t ?

La chambre d’agricultur­e accompagne des jeunes ou des adultes en reconversi­on. Le souci reste le coût prohibitif du foncier. Les banques ne suivent pas. Il faudrait que l’État ou les collectivi­tés garantisse­nt les prêts. Et pourquoi n’investirai­entils pas dans des terres agricoles ? Il y a aussi d’autres solutions que nous avons mises en place : avec la Safer [société d’aménagemen­t foncier et d’établissem­ent rural], nous avons acheté des terrains pour faciliter l’installati­on des jeunes. Ceux-ci ont ensuite quinze ans pour les racheter.

Les pluies actuelles, une bonne nouvelle ?

Bien sûr. Mais on ne fera pas l’économie d’un débat sur la constructi­on de réserves d’eau. On ne peut pas accepter d’être interdit d’arrosage en période de canicule alors que les touristes, toujours plus nombreux, prennent leur douche.

On paie un lourd tribut aux amplitudes de températur­es de ces dernières années. En , nous avons perdu la moitié de la production de maraîchage et des prés de fauche. La récolte des olives est proche de zéro et c’est aussi un désastre pour l’apiculture.

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Jean-Philippe Frère, président de la Fédération départemen­tale des syndicats d’exploitant­s agricoles : les « touristes qui viennent se reposer ne supportent pas le bruit d’un tracteur ou d’une tronçonneu­se ». (Photo Franck Fernandes)

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