Jean-Philippe Frère : « Sauvez vos paysans »
Jean-Philippe Frère, président de la FDSEA, principal syndicat agricole, sera à la tête de la manifestation, ce matin, à Les agriculteurs, profession en péril, en ont assez des critiques
Quelles sont les raisons du malaise des agriculteurs des Alpes-Maritimes ?
Ici, la pression foncière est énorme. Ça se construit tout autour de nous. La majorité des terres agricoles est en zone urbaine ou périurbaine. C’est à la fois une chance parce que les clients sont proches. Mais c’est aussi une source de conflits parce que des touristes qui viennent se reposer ne supportent pas le bruit d’un tracteur ou d’une tronçonneuse.
Les Alpes-Maritimes ont la chance d’avoir une petite agriculture très respectueuse de l’environnement. Mais on travaille sept jours sur sept ! Quand c’est le moment de traiter à l’argile les oliviers pour lutter contre les mouches, on ne peut pas attendre. Alors cela peut tomber un samedi ou un dimanche. Il arrive qu’on se fasse insulter, agresser, que les gendarmes soient alertés. Tout le monde veut des agriculteurs mais loin de chez soi et sans contrainte.
Quelques exemples de cette difficile cohabitation entre agriculteurs et la population ?
Prenez les éleveurs qui prennent des patous pour les protéger du loup. Des promeneurs traversent des troupeaux et s’étonnent de se faire attaquer par ces patous. Et c’est encore l’éleveur qui se fait condamner en justice ! Le préfet a autorisé la destruction des perruches australiennes. Ça émeut certaines personnes. Mais elles ont fait perdre euros à un arboriculteur. Qui accepterait de perdre
euros de revenus ?
Combien reste-t-il d’agriculteurs dans les Alpes-Maritimes ?
sont enregistrés mais seulement sont exploitants à titre principal. Nous étions il y a vingt ans ! Et les départs à la retraite actuels continuent de ne pas être compensés. Je suis aussi très inquiet sur le manque de vocations. Le manque de relève m’affole.
Les états généraux de l’alimentation étaient censés mieux rémunérer les agriculteurs. Est-ce un échec ?
Certains continuent de travailler à perte. Personnellement, je travaillais par le passé avec les grandes et moyennes surfaces. En , j’ai revu toute mon exploitation. Aujourd’hui, on est tous passé dans les circuits courts et ça fonctionne bien au point qu’on manque de marchandises. On fait des heures mais on gagne notre vie.
Que pensez-vous de la nouvelle polémique sur la distance minimale entre les zones d’habitation et les zones d’épandage ?
Si vous écoutez les plus radicaux, vous rayez de la carte % des agriculteurs du ! Le dénigrement que nous subissons est insupportable. Même en culture bio, un agriculteur qui traite au cuivre se protège : c’est une obligation sanitaire. Certains riverains suspicieux qui aperçoivent un exploitant en combinaison, masque et bottes, appellent les gendarmes ! On manque vraiment de soutien : l’État, les élus, la population doivent nous aider. À eux de sauver les agriculteurs. Qu’ils n’oublient pas que nous sommes là pour les nourrir.
Il faut arrêter de nous prendre pour des assassins d’autant qu’il n’y a aucune culture intensive ici.
Nos métiers sont trop dénigrés alors qu’ils sont formidables. Ceci dit, nous n’avons peut-être pas su communiquer.
La bactérie xylella retrouvée à Menton et Antibes vous préoccupe-t-elle ?
C’est une énorme inquiétude qui menace la filière oléicole. Il y a eu un manque de réactivité de la part de l’État. Il a cinq ans, on a écrit au préfet pour qu’on arrache des ronds-points la polygala, une plante importée d’Italie connue pour être un vecteur de propagation de la bactérie.
Souffrez-vous de la concurrence déloyale de pays étrangers ?
En Italie, le traitement des eaux, l’emploi de main-d’oeuvre ne sont pas aussi stricts qu’ici. Du coup, les Italiens sont centimes moins chers par kilo d’olives. À nous de travailler sur la qualité, ce qu’on fait avec les labels et qu’on arrête de nous accabler de charges administratives qui prennent un tiers de notre temps.
Peut-on encore s’installer comme agriculteur dans le département ?
La chambre d’agriculture accompagne des jeunes ou des adultes en reconversion. Le souci reste le coût prohibitif du foncier. Les banques ne suivent pas. Il faudrait que l’État ou les collectivités garantissent les prêts. Et pourquoi n’investiraientils pas dans des terres agricoles ? Il y a aussi d’autres solutions que nous avons mises en place : avec la Safer [société d’aménagement foncier et d’établissement rural], nous avons acheté des terrains pour faciliter l’installation des jeunes. Ceux-ci ont ensuite quinze ans pour les racheter.
Les pluies actuelles, une bonne nouvelle ?
Bien sûr. Mais on ne fera pas l’économie d’un débat sur la construction de réserves d’eau. On ne peut pas accepter d’être interdit d’arrosage en période de canicule alors que les touristes, toujours plus nombreux, prennent leur douche.
On paie un lourd tribut aux amplitudes de températures de ces dernières années. En , nous avons perdu la moitié de la production de maraîchage et des prés de fauche. La récolte des olives est proche de zéro et c’est aussi un désastre pour l’apiculture.