Le livre du jour
Coeur
La RDA, côté Entre et , l’enseignant niçois Jean Emelina s’est rendu à moult reprises en Allemagne de l’Est. Via son double Michel Lombard, universitaire octogénaire et caustique vidant ses tiroirs, il refait ses voyages de l’autre côté du rideau de fer. La nostalgie douce-amère le dispute à l’ironie. Des étudiants enthousiastes et les yeux noirs de la belle Mélodie lui rendent le pays moins antipathique, en dépit des affres du stalinisme. Dès la gare de Schönefeld, « gare de plein vent posée là n’importe comment, digne d’un western-spaghetti, à faire rebrousser chemin à un cheminot de la CGT en pèlerinage et lui donner envie de déchirer sa carte du parti », la grisaille imprègne le récit. L’auteur se surprend pourtant à aimer cette noirceur, la loco à vapeur qui surgit d’un autre temps, les odeurs de charbon, le pissoir lui aussi odorant et les valises fermées par des ficelles. Il s’émeut d’un pays où
« Marx et Goethe avaient l’air de vivre en bonne intelligence ». Un pays qui cultivait l’autodérision, à la manière de Sigmund : « Il faut toujours courir pour trouver quelque chose quelque part. C’est pour cela qu’on gagne tant de médailles aux jeux Olympiques. » Les agents de la Stasi, réels ou supposés, ne semblent jamais loin, tandis que Trabant, bâtiments « stalinoïdes » et sculptures à la gloire du prolétaire brisant ses chaînes se décalquent à l’infini. Avant , chacun tape ici sur l’Ouest dégénéré, tout en rêvant de sa corne d’abondance. On y passera bientôt de la pénurie au gavage, de
« l’utopie meurtrière au libéralisme tentaculaire ».
Si Emelina-Lombard garde tant d’indulgence pour ce pays-caserne, ce n’est pas par idéologie. Sa critique est édulcorée, son souvenir magnifié, par un amour impossible. La RDA n’est que l’écrin impitoyable d’une acide réflexion sur le désir, les sentiments, la fidélité, le temps qui passe et broie tout sous son sabot de fer.