Monaco-Matin

Ce qu’on a à apprendre d’Israël en matière d’innovation Interview

On lui doit la clé USB, la messagerie instantané­e, le firewall. Ce sont sur les terres israélienn­es aussi que sont nées Waze, Sodastream... En quoi la Start-Up Nation peut-elle nous inspirer

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTELLE LEFEBVRE clefebvre@nicematin.fr

Il a l’audace et le francparle­r de l’éco-système qu’il développe. Depuis Tel Aviv, Jérémie Kletzkine, le vice-président de Start-Up Nation Central, répond à nos interrogat­ions sur la manière de faire progresser notre capital innovation au regard de l’expérience israélienn­e. Sujet qui sera au coeur de la conférence Safe&Smart City qui se déroulera à Nice du 7 au 9 décembre.

Pourquoi Israël est-elle LA Start-Up Nation ?

Avant d’être le pays des startups, Israël est un pays startup. La technologi­e a toujours été au centre de tous les enjeux du pays. En  ans, vouloir rendre le désert fertile a amené Israël à recycler  % des eaux usagées. Même processus pour les questions sécuritair­es. La technologi­e s’est imposée comme le seul moyen pour que le pays survive aux enjeux du quotidien.

Que pèse la high tech dans l’économie du pays ?

Elle est centrale avec près de  % des exportatio­ns industriel­les. Alors qu’elle n’implique que  % de la population active (environ   personnes).

Avec quel soutien des fonds d’investisse­ment ?

Les investisse­ments se font à plus de  %, dans les startups BtoB à très forte composante technologi­que, plus de  Mds$ l’an passé… Ce qui ne se retrouve dans aucun autre pays au monde. Start-up Nation Central a recensé plus de  fonds de capitaux risques,   startups actives et  centres de R&D internatio­naux.

Comment expliquer ce dynamisme ?

L’armée joue un rôle central dans la formation des ingénieurs. Les unités d’élite sont composées de dizaines de milliers de soldats « informatiq­ues » placés dans des conditions entreprene­uriales dès  ans. Ils sont responsabi­lisés, apprennent le sens des priorités et évoluent dans un environnem­ent informel où exprimer un avis est un devoir, surtout si on n’est pas d’accord. Imaginez la pertinence des profils qui, en sortant d’au moins  ans dans ces unités, rejoignent l’industrie high tech.

Et les fonds publics ?

Ils ne représente­nt que  % des investisse­ments dans l’innovation israélienn­e. On n’est pas du tout dans la logique de Bpifrance concentrée sur la création d’emplois.

La définition d’une startup est-elle identique ?

Elle est diamétrale­ment opposée. Le numérique y est considéré comme un acquis, une commodité pas forcément associée à l’innovation. Les entreprise­s de création de sites Internet, d’impression D, les coursiers à vélo avec des tablettes ne sont pas considérée­s comme des startups mais des entreprise­s traditionn­elles du numérique.

Quel critère définit une

startup ?

La création de valeur potentiell­e à grande échelle est le seul critère en Israël, qu’elle soit basée sur un usage ou une technologi­e innovants. En France, on mélange les entreprise­s numériques avec celles véritablem­ent innovantes, on inhibe la prise de risque et on dilue la valorisati­on à l’échelle de l’ensemble de l’écosystème. C’est un énorme problème.

Quels sont les forces de l’écosystème israélien ?

La première force est paradoxale­ment d’être déconnecté­e des marchés internatio­naux. Les Israéliens commencent par créer des technologi­es et se posent ensuite la question de leurs éventuelle­s applicatio­ns, de manière opportunis­te. Les ingénieurs passent d’une industrie à l’autre, de la cyber au biomédical, de la finance au jeu vidéo… Ils importent ainsi leurs méthodolog­ies, leurs idées, leurs manières de poser et résoudre les problèmes qui bouleverse­nt les standards. Il y a en Israël une fertilisat­ion croisée folle entre tous les secteurs. La majorité des startups a un noyau de compétence­s similaires.

Le rapport à l’échec y est différent également ?

Dans la société israélienn­e, il est fondamenta­l. Que l’on soit cadre ou entreprene­ur, la tolérance à l’échec est ancrée dans la culture. La réussite passe par des essais répétés ; il faut savoir grouper les projets pour ne pas les juger individuel­lement. Les Israéliens prennent des risques, n’ont pas peur de se tromper.

L’export est culturel aussi ?

Le marché local,  millions d’habitants, est trop petit : les entreprene­urs se lancent tous à la conquête des marchés du monde entier. La première marche est plus haute, mais une fois passée, les startups sont en orbite.

Quels sont les secteurs stratégiqu­es en Israël ?

Dans les années , à la naissance des startups, Israël a misé sur ses connaissan­ces en télécommun­ication et en aviation. En , l’entreprise israélienn­e Checkpoint a inventé le firewall, c’était le début de la cybersécur­ité. En , ICQ a été la première à proposer une messagerie instantané­e. Aujourd’hui, ces technologi­es sont devenues de simples commodités. Israël a toujours innové de façon pragmatiqu­e et indépendan­te d’un marché local inexistant. Le pays est un baromètre pour le monde : on y anticipe, on travaille sur ce qui va suivre.

Un exemple ?

Les données numériques de santé. Israël est le seul pays au monde avec une couverture à  % de sa population depuis plus de  ans. On va voir son médecin, on passe dans un hôpital public et on va à la pharmacie avec son simple numéro d’identité. Tous les systèmes sont liés. Les anomalies, les prescripti­ons contradict­oires, tout est détecté automatiqu­ement. L’espérance de vie a drastiquem­ent progressé, on y voit clairement une corrélatio­n.

Quels secteurs sont en croissance ?

Le foodtech et l’agritech, la voiture autonome, les assurances, la sécurité et l’industrie ..

En quoi le modèle israëlien peut-il nous inspirer pour devenir une startup nation ?

Je ne pense pas qu’à la différence d’Israël, la France doive absolument construire son innovation uniquement autour de ses startups. Il y a d’autres acteurs qui ont leur place : des grands groupes internatio­naux, des chercheurs et des université­s exceptionn­els, et toute une couche de PME au savoir-faire créatif qui doivent tous être inclus dans ce qui compose la valeur ajoutée de la France.

Quels ponts peut-on imaginer ?

Les pays européens et la France sont enfermés dans une logique de gagnant/perdant selon le sens du mouvement des capitaux et l’endroit où les emplois sont créés à court terme. La demande est tellement autre en Israël qu’il est de moins en moins intéressan­t d’y installer un nouveau centre de R&D. Les grand groupes préfèrent implanter de petites équipes qui travailler­ont avec de nombreuses startups plutôt que d’embaucher de nombreux ingénieurs en concurrenc­e directe avec les startups.

Il est fondamenta­l de sortir des écosystème­s en compétitio­n...

La clé réside dans la complément­arité. Il ne faut pas se construire en tentant d’être meilleur que les autres dans leurs domaines – personne ne pourra égaler la Silicon Valley - mais en se focalisant sur ce qui attirerait les industriel­s de Boston, Shanghai, Berlin, Barcelone ou San Francisco en France.

Un conseil fondamenta­l ?

En innovation, c’est comme en cuisine. Il ne sert à rien d’avoir la recette si les ingrédient­s en mains sont inadaptés. La France doit inventer sa propre recette pour mettre ses atouts en valeur et construire des ponts à double sens avec les autres écosystème­s.

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Jérémie Kletzkine : « Start-Up Nation Central met en relation les dirigeants d’entreprise, des gouverneme­nts et des ONG du monde entier avec l’innovation israélienn­e. » (D.R.)

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