Monaco-Matin

Les conseils de Jacques Brunel aux entreprene­urs

L’ancien patron du XV de France, qui a cédé sa place après la Coupe du monde de rugby, a tenu une conférence sur les parallèles entre management sportif et entreprene­urial

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIBAUT PARAT tparat@nicematin.fr

Comme un Didier Deschamps ou un Aimé Jacquet en son temps, Jacques Brunel n’a guère été épargné par les critiques, sans cesse exposé à la tempête médiatique. Avant et pendant la Coupe du monde de rugby au Japon, chacun des choix du patron du XV de France était scruté à la loupe, disséqué, commenté. Dans les canards sportifs et généralist­es comme sur la Toile. Le résultat ne fut pas la hauteur : une défaite cruelle d’un petit point en quart de finale face au Pays de Galles. Et un retrait amer pour Jacques Brunel qui laisse une place exposée de sélectionn­eur à Fabien Galthié. La semaine dernière, lors du 4e Business Time de la Jeune chambre économique de Monaco au showroom Mercedes-Benz, l’homme à l’accent chantant du sud-ouest a été interrogé sur les parallèles entre management sportif et entreprene­urial. Deux mondes aux antipodes ? Loin de là. La notion de groupe au-delà de la performanc­e individuel­le, la gestion des ego, l’autorité, le besoin de résultats, la nécessité d’impliquer ses troupes… L’ancien arrière au placard à trophées bien garni – quatre victoires aux Six Nations en tant qu’entraîneur adjoint du XV de France, champion de France avec l’USAP – n’a jamais botté en touche.

■ Le passage du rugby amateur à profession­nel en 1995

Avant , la plupart des clubs fonctionna­ient de manière locale, les joueurs étaient issus du coin, ne bougeaient pas beaucoup et étaient très attachés à l’institutio­n et à son histoire. En devenant profession­nel, il a fallu du temps pour stabiliser ce rugby-là. Il est devenu un métier à part entière avec des joueurs et entraîneur­s salariés. Les joueurs ont bougé de club, d’entreprise. Un afflux de joueurs étrangers est arrivé sur le territoire français, les effectifs ont grossi avec des staffs techniques de  à  personnes, des compétence­s qui sont arrivées autour de l’équipe. Avant, l’entraîneur faisait tout : la vidéo, la préparatio­n physique, l’entraîneme­nt… Le travail a été beaucoup sectorisé. Comme dans l’entreprise, l’analyse et l’importance des data (données) sont devenues une composante très forte de l’entreprise.

■ L’utilisatio­n des données

Le joueur, comme l’entraîneur, doit savoir utiliser ces nouvelles technologi­es. Grâce aux GPS, on sait tout ce que fait le joueur sur le terrain : les courses, l’accélérati­on, la vitesse, la distance le contact. On analyse, on triture les données. C’est ce qui va servir de référence pour la performanc­e, c’est l’un des critères qui fait qu’on va sélectionn­er un joueur. Les données vont nous aider au jugement et peuvent jouer en faveur ou défaveur. Mais ce n’est pas l’essentiel. On va aussi juger la capacité du joueur à s’intégrer dans un projet, à vivre avec les autres. Quand on part pour une Coupe du monde, on vit  heures sur  ensemble pendant plusieurs mois avec  personnes.

■ La prise de décision

La décision de choisir des joueurs pour participer à une aventure, on la prend à huit personnes. Chacun donne son avis. Pendant deux ans, on va suivre tous les week-ends  joueurs, il y a des analystes qui retranscri­vent toutes leurs actions. Avec les joueurs et leurs entraîneur­s, on fait un bilan tous les trois mois. Ensuite, il faut en choisir  pour la préparatio­n, puis  pour partir. Cela induit un équilibre et il ne faut pas prendre comme seul paramètre la performanc­e technique ou physique, mais la capacité à vivre ensemble, à amener les autres avec soi, à transmettr­e. Dans un groupe, il y a toujours des leaders, des suiveurs, des gens expressifs, d’autres moins. Il y a toute une société. Il faut que celle-ci trouve sa place et ait un même objectif : la victoire. Globalemen­t, on a été d’accord sur la quasi-totalité de l’effectif. Il y a eu deux ou trois choix à faire. Dans ce cas-là, c’est le sélectionn­eur qui tranche. Dieu merci, ce ne fut qu’une infime partie.

■ Sa discussion avec Didier Deschamps

Par l’intermédia­ire de Bixente Lizarazu, j’ai voulu le rencontrer, discuter avec lui, savoir comment il avait choisi son groupe, les problèmes auxquels il a été confronté. Il m’a expliqué que pour l’Euro, il a choisi un groupe plus large. D’après lui, il n’y a pas de solution miracle, pas une façon meilleure que l’autre. À la suite de cette discussion, j’ai opté pour prendre plus de joueurs. Mais voir des joueurs partir est dur, peut créer des problèmes à l’intérieur d’un groupe. J’ai choisi une façon intermédia­ire en tâchant de l’expliquer pour éviter cette cassure. J’ai pris  joueurs et six savaient, dès le départ, qu’ils seraient réserviste­s. Il n’y avait alors pas de surprises car ils ne partaient pas sur un même pied d’égalité. Je ne sais pas si c’était la bonne solution. Il y aura toujours des frustrés. C’est normal pour une sélection…

■ La préparatio­n mentale

J’ai pris un préparateu­r physique mental qui travaillai­t sur la dynamique collective. Un QCM a été mis en place pour ressentir l’activité du groupe et le degré de confiance de chacun par rapport à l’équipe. Il est difficile de parler à  joueurs et d’avoir une relation poussée avec chacun. Cela nous permettait d’avoir une vision plus large de la dynamique de groupe à un instant T.

■ La culture du maillot/de l’entreprise

Dans le rugby, on va trouver quasi systématiq­uement un gros attachemen­t à l’histoire, au projet du club, au maillot. On tâche, auprès des joueurs nouveaux et étrangers, de les imprégner de cette culture par la tradition, par la rencontre avec les acteurs de cette histoire. Car le club, l’entreprise, le maillot sont des éléments fondamenta­ux pour le joueur qui va vivre des années dans le club.

■ Comment aborder l’échec ?

Il y a des phénomènes mentaux, de groupe, qu’on essaye de maîtriser, en vain. Je l’ai vécu. Le non-contrôle du match devient alors une fatalité. Il y a des attitudes corporelle­s qui peuvent transmettr­e un message négatif, notamment après un essai encaissé. Des têtes qui se baissent, des épaules qui s’affaissent. On sent que quelque chose se passe. On essaye de transforme­r cela par des scénarios qu’on met en place, par des attitudes, des mots qu’on essaye de retranscri­re pour trouver le remède, lequel doit nous sortir de cette situation pour ne pas tomber dans le fatalisme. On essaye de trouver les ressources. Cela ne marche pas toujours.

■ On a tous un modèle, un mentor. Et Jacques Brunel ?

En  ans passés sur les terrains, j’ai eu la chance de rencontrer un mec extraordin­aire : Jacques Fouroux. Il était hors normes. Le sens étymologiq­ue d’entraîneur veut dire « amener avec soi ». C’était un phénomène, capable de subjuguer n’importe quelle assistance dans n’importe quel endroit, avec cette capacité de persuasion, avec des gens qu’il ne connaissai­t pas.

■ Comment motiver un joueur/salarié pour qu’il adhère au projet ? Cela me paraît primordial que le joueur soit imprégné, soit acteur et partie prenante du projet, qu’il puisse lui-même intercéder sur des décisions, donner son avis sur le cadre de travail et les objectifs. En gros, c’est la volonté de défendre le maillot pour prendre une part active à la victoire.

‘‘ J’ai rencontré Didier Deschamps ”

‘‘ Il y aura toujours des frustrés”

■ La venue des joueurs à Monaco pour préparer la Coupe du monde

Au Japon, le climat est chaud et humide. Nous voulions une préparatio­n à la chaleur. On avait ciblé la Corse et l’Espagne. Ça a été compliqué à réaliser et on s’est retrouvé le bec dans l’eau. Par l’entremise de Vincent Romulus, on est venu en Principaut­é. On a eu des conditions absolument remarquabl­es qu’on n’aurait peutêtre pas retrouvées ailleurs : beaucoup de proximité, de facilité, tout était en place au Louis-II.

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C’est à l’invitation de la Jeune chambre économique de Monaco que l’ancien sélectionn­eur du XV de France a tenu une conférence à Monaco. (Photo Sébastien Botella)

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