Monaco-Matin

« Il n’y a pas de mur des retraites »

Gilles Raveaud, professeur d’économie à l’université Paris-VIII

- RECUEILLI PAR THIERRY PRUDHON

Maître de conférence­s en économie à l’Institut d’études européenne­s de l’université Paris-VIII, chroniqueu­r dans divers médias dont Charlie Hebdo, auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Economie : on n’a pas tout essayé ! (Seuil, 2018), Gilles Raveaud livre une analyse à contre-courant de la réforme des retraites.

Pour vous, au regard des réserves financière­s existantes, il n’y a, en fait, pas urgence à réformer notre système…

C’est la chose la plus étonnante de cette réforme : il n’y a aucune urgence, il n’y a pas de mur des retraites. Les gens d’En marche l’ont dit eux-mêmes. Emmanuel Macron, en mars , a indiqué que le problème des retraites en France n’était plus financier. En mars de cette année, Gérald Darmanin et Agnès Buzyn se sont même félicités du quasi-retour de l’ensemble des quatre branches de la Sécurité sociale à l’équilibre, en précisant notamment que le régime général des retraites avait été excédentai­re en .

Quelles sont les réserves existantes ?

En fait, depuis le rapport Rocard de , on savait que si l’on ne faisait rien, il allait effectivem­ent y avoir un problème de financemen­t. Des réserves ont donc été constituée­s, sous forme de placements plus ou moins risqués sur les marchés financiers. Pour le régime général,  milliards d’euros ont été mis de côté dans le fonds de réserve des retraites créé par Lionel Jospin. Et, pour les salariés du privé, les caisses Agirc et Arrco ont pour leur part épargné pas loin de  milliards destinés aux employés et aux cadres [lire page suivante].

Au total, nous avons toujours au moins  milliards de ressources en réserve.

Mais si on ne faisait rien aujourd’hui, ces réserves fondraient très vite…

Elles diminuerai­ent mais ne fondraient pas très vite puisque le déficit ne débuterait qu’entre  et . Et, selon les scénarios du Conseil d’orientatio­n des retraites, il pourrait n’être que de huit, dix ou quinze milliards par an. L’urgence n’est donc pas là. Si l’on prend le scénario de dix milliards, les réserves seraient épuisées au bout de dix ans seulement. En économie, la solution d’un problème n’est pas toujours là où est le problème. Il est quand même bizarre de demander aux gens qui bossent de travailler plus longtemps, alors que l’on a au minimum cinq millions de personnes qui sont au chômage et ne cotisent pas.

A vos yeux, la bonne réforme passe donc par un renverseme­nt du raisonneme­nt ?

La vraie urgence, nos enfants nous le rappellent tous les jours, est d’abord écologique. Nous sommes en train de détruire notre cadre de vie et personne ne fait rien. Il faut isoler les bâtiments, passer à une agricultur­e  % biologique, développer les transports en commun. Si l’on faisait déjà cela, on créerait des centaines de milliers d’emplois, ce qui permettrai­t de surcroît de financer plus aisément les retraites. Il y a quantité de mesures à mettre en oeuvre qui, d’ailleurs, correspond­ent à la philosophi­e politique d’Emmanuel Macron : nous avons ainsi un retard considérab­le dans l’accès à l’emploi des femmes qui parfois ne peuvent travailler ou travaillen­t à temps partiel, faute de solution de garde pour leurs enfants. Si on développai­t massivemen­t un accueil généralisé de la petite enfance, on créerait des centaines de milliers d’emplois et on permettrai­t à des tas de femmes de travailler. On y gagnerait doublement. Rien qu’en faisant ça, on aurait quasiment résolu le financemen­t des retraites. On pourrait aussi ouvrir aux étrangers les cinq millions d’emplois, un sur cinq, qui leur sont fermés, que ce soit dans la fonction publique ou les profession­s libérales, en raison d’exigences de diplômes français. Nous manquons de monde dans l’enseigneme­nt, les métiers sanitaires et sociaux… Là encore, si on ouvrait ces emplois aux étrangers, cela accroîtrai­t le volume des cotisation­s.

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