LES ARCHIVES DE GUERRE BIENTÔT EXHUMÉES ?
Le Centre Simon-Wiesenthal, organisation internationale, a adressé un courrier au Ministre d’État pour accéder aux archives de la Seconde Guerre mondiale. Pour la mémoire et l’éducation
Le Centre Simon-Wiesenthal a adressé un courrier au Ministre d’État afin de pouvoir consulter les archives monégasques datant de la Seconde Guerre mondiale. L’ONG juive entend ainsi « permettre aux familles des victimes de tourner enfin une page douloureuse ».
Le 27 janvier 2020, le monde célébrera le 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz. Ce sera probablement pour la plupart des survivants rescapés de l’Holocauste leur dernière chance de raconter leur histoire. » C’est en ces termes que le Centre Simon-Wiesenthal, qui se définit comme « une organisation internationale juive », a interpellé le Ministre d’État, Serge Telle, dans un courrier que lui a adressé le 16 décembre Shimon Samuels, son responsable des relations internationales. Une missive par laquelle il demande l’accès aux archives gouvernementales de la période de la Seconde Guerre mondiale. « Cela permettrait aux familles des victimes de tourner enfin une douloureuse page. »
Savoir pour avancer. «Ilyapeude témoins en vie. Si nous avons cette démarche, c’est surtout pour l’Histoire. Mais ce n’est pas qu’une affaire de vérité, c’est aussi une question d’éducation pour la jeunesse », confie Shimon Samuels, contacté par téléphone.
« Devoir de mémoire »
En 2006, la Commission pour l’assistance aux victimes de spoliations (CAVS) a été créée à Monaco « en vue d’honorer un devoir de mémoire », d’après le site officiel. En 2015, nous écrivions dans nos colonnes que des experts avaient été nommés, parmi lesquels Serge Klarsfeld, pour étudier « en toute impartialité et transparence les sources disponibles portant sur les interpellations opérées à Monaco de 1942 à 1944 ». Cette commission a rendu un rapport dans lequel elle liste 92 victimes. « Entre 1999 et 2019, la CIVS [la commission française, créée en 1999, ndlr] aurait examiné cinq demandes pour spoliation qui concernent à la fois la France et Monaco, mais elle n’aurait pas eu accès aux archives monégasques », peut-on lire dans le courrier. Malgré le travail déjà établi, le centre Simon-Wiesenthal persiste à demander l’accès aux archives pour une raison simple : « Monaco est un tout petit pays, mais il a eu un rôle. Beaucoup d’aspects touchent Monaco. » Des éléments qu’ils mentionnent dans leur courrier : « OBJETS DE VALEUR : La saisie d’argent, de montres, de bijoux, de diamants et autres objets précieux ayant appartenu à des Juifs monégasques qui ont été arrêtés et déportés, et dont seuls quelque trente-deux sont inscrits dans les registres de Drancy, le camp de transit d’où les trains de la SNCF les transportaient à Auschwitz (source : archives du Mémorial de la Shoah de Paris). BANQUES :
De même, les banques opérant à Monaco ont vraisemblablement bloqué les comptes ayant appartenu à des Juifs. À titre d’exemples, les documents sur l’Occupation allemande conservés aux Archives nationales françaises mentionnent deux familles de réfugiés juifs qui ont déposé leurs titres au Crédit mobilier de Monaco. Trois Juifs, désignés comme résidents à MonteCarlo, ont vu leurs comptes bloqués en Suisse, selon les listes des Banques suisses.
VENTES AUX ENCHÈRES A NICE : Les Juifs de Monaco furent déportés via Nice. Les archives des Alpes-Maritimes consignent au moins douze ventes à Nice de biens juifs entre janvier 1942 et décembre 1944. Si tant d’indices sont disponibles dans tant d’archives différentes, n’incomberait-il pas à Monaco d’ouvrir les siennes propres à des chercheurs qualifiés ?... De multiples sources fournissent les noms de Juifs monégasques qui furent déportés et spoliés, bien au-delà de la liste fournie par la CAVS dans son rapport de 2015. »
Une histoire de compétences
Autant d’éléments qui ont naturellement conduit leur chercheur à écrire à la CAVS, dont le directeur, Christian Ceyssac a répondu « qu’il n’était pas de sa compétence de répondre à notre requête d’accéder aux archives monégasques de la Seconde Guerre mondiale ». Une compétence qui ne semble pas clairement définie, puisque le gouvernement nous a fait parvenir cette réponse : « La demande adressée par le Centre Wiesenthal a naturellement été prise en considération avec une grande attention. Cette demande sera examinée lors de la prochaine réunion de la Commission pour l’assistance aux victimes de spoliations qui est compétente dans ce domaine. Une réponse pourra par conséquent être apportée très prochainement au Centre Wiesenthal. »
Une réponse attendue de pied ferme, car Shimon Samuels nous explique que « Monaco est l’un des derniers pays à ne pas avoir ouvert ses archives », confiant par exemple que l’Argentine, qui a accueilli des criminels de guerre comme Adolf Eichmann ou Josef Mengele, a déjà ouvert les siennes. Le courrier adressé au Ministre d’État témoigne d’une certaine impatience dans sa conclusion : « Si Monaco persiste à nier l’accès à ces archives, l’on ne pourrait interpréter cette position que comme une trahison de sa dette morale envers l’Histoire. »