Accusé d’abus de faiblesse, le majordome est relaxé
L’ex-employé de maison d’une plaignante fortunée a comparu pour justifier de près de 50000 euros de retraits et achats entre 2013 et 2015. Reste que son contrat de travail n’était pas net...
Le tribunal correctionnel vient d’examiner de façon très précise l’existence d’éléments plaçant une plaignante des plus fortunées en Principauté, en situation d’abus de confiance. Cette personne soupçonne son factotum d’avoir détourné des sommes d’argent évaluées à plusieurs dizaines de milliers d‘euros pour en faire un usage personnel déterminé.
Il s’agissait de retraits et achats par carte bancaire effectués entre mars 2013 et septembre 2015. Mais pour les juges, l’élément matériel du délit – l’appropriation ou la rétention injuste – n’est pas caractérisé. Le prévenu a été relaxé et la partie civile déboutée de ses demandes pour un préjudice total de 46 226 euros.
« Douze personnes mangent en permanence chez elle »
À la barre, le sexagénaire est dans l’incompréhension. « J’ai été embauché en février 2010 comme employé de maison par ma patronne. Je travaille du lundi au vendredi pour un total de 169 heures par mois. Mais j’en faisais beaucoup plus : j’étais à sa disposition les week-ends ! Pour les dépenses liées au fonctionnement de la maison, j’avais une carte bancaire pour effectuer les règlements. En 2016, Madame va porter plainte parce qu’elle remarque un retrait de 1 715 euros… »
Le président Jérôme Fougeras Lavergnolle note des « dépenses faites à Nice pour une dame qui réside à Monaco dans des commerces qui ne correspondent pas à son standing ! Pourquoi aller aussi loin ? Elle évoque de substantielles économies sur le budget depuis votre remplacement. En 2014, il y a 19 000 euros de carburant. Soit un coût mensuel de 1 570 euros. Entre 2011 et 2012, 800 euros de courses sont faites le même jour. Vous emmenez ses enfants manger au McDo de Cagnes. Or, ces jeunes ne fréquentent plus les fast-foods depuis 2001. Pourquoi ? »
« Après votre départ, les dépenses vont diminuer »
L’homme à tout faire dévoué ne conteste pas les retraits. Car ils sont uniquement destinés au train de vie de Madame et à sa demande. « L’argent est dépensé pour les nombreuses réceptions organisées. Sachez que cette dame à quatre maisons. Douze personnes mangent en permanence chez elle. Je me lève à 6 heures afin de m’occuper de tout. Si je fais des courses à Nice, c’est parce que je ne trouve pas tout à Monaco. J’ai également les fonctions de chauffeur. J’ai eu le feu vert pour m’acheter des vêtements adaptés à cette fonction. » Évidemment, le magistrat à raison de conforter l’intégrité de la plaignante. « Après votre départ, toutes les dépenses vont considérablement diminuer. Pourquoi cette personne mentirait-elle ? » Pour se venger, d’après son majordome. « Je l’ai attaquée pour licenciement abusif en septembre 2015. Voilà la raison ! Je n’ai jamais rien entrepris sans l’accord de la baronne. Je conteste tous les faits dont elle m’accuse. Je n’ai jamais eu deux semaines de vacances d’affilée. Il n’y avait aucune limite de dépense au budget. Je percevais un salaire de 2 650 euros, en partie au black ! Aujourd’hui, j’ai 62 ans et je cherche un emploi… »
« euros de dépenses alimentaires en deux ans »
Pour la partie civile, le prévenu trouve explication à chaque grief. « 100 000 euros de dépenses alimentaires en deux ans, argumentent Me Thomas Giaccardi, c’est colossal. Une dame de 75 ans qui va au fast-food : c’est farfelu. Plus encore quand on lui ramène kebab et pizzas de Nice ou des dépenses vestimentaires dans les enseignes populaires. Ou pour la chicha : vous voyez ma cliente fumer ? Les frais de coiffeur ? Il est à cinq minutes du domicile de ce monsieur. Aucunes autorisations ! Seulement un litige prud’homal sans deal ! Cet homme se garde bien de montrer ses relevés bancaires… »
« Comment consolider l’élément intentionnel ? »
Le premier substitut Olivier Zamphiroff requiert d’emblée la relaxe du prévenu. « Pas au nom d’une référence aveugle. Mais il appartient à la plaignante de faire la preuve de l’absence d’autorisation dans les dix-neuf établissements évoqués. Ni acte, ni confrontation, ni contrat de travail avec une clause bien précise : il est difficile d’associer une mission définie. Comment consolider l’élément intentionnel dans ces conditions ? »
En défense, Me Mohamed Maktouff parle des droits et du principe de présomption d’innocence de son client. « Il appartient à la victime de faire la preuve de l’infraction. Or, dans de dossier, il n’y a pas la moindre démonstration. Les paiements électroniques laissent des traces consignées sur des relevés. Comment s’enrichir ? Le préjudice ; bizarrement, passe de 70 000 euros à 30 000 euros aujourd’hui. C’est un homme pauvre qui fait ses courses dans les magasins pour les pauvres. On n’a rien à lui reprocher. »
Le tribunal suivra les réquisitions du ministère public : la relaxe.
*
Assesseurs : Florestan Bellinzona et Ludovic Leclerc.