Monaco-Matin

France Télécom condamné pour harcèlemen­t moral

L’entreprise et ses ex-dirigeants sont reconnus coupables d’avoir volontaire­ment créé un climat ayant poussé des dizaines d’employés à la dépression, voire au suicide

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Après une série de suicides de salariés, France Télécom était devenue il y a dix ans le symbole de la souffrance au travail : l’entreprise et ses ex-dirigeants ont été condamnés hier pour un « harcèlemen­t moral » institutio­nnel, une première pour une entreprise du CAC 40.

● Jusqu’à un an de prison dont  mois avec sursis

Didier Lombard, PDG entre 2005 et 2010, l’ex-n°2 Louis-Pierre Wenès et l’ex-DRH Olivier Barberot ont été condamnés à un an de prison, dont huit mois avec sursis, et 15 000 euros d’amende. Le tribunal les a condamnés pour leur « rôle prééminent » dans la mise en place d’une politique de réduction des effectifs « jusqu’au-boutiste » sur la période 2007-2008. L’entreprise en elle-même a été condamnée à l’amende maximale de 75 000 euros. Quatre autres responsabl­es, jugés pour « complicité de harcèlemen­t moral », ont été condamnés à quatre mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende. Tous les prévenus, sauf France Télécom, vont faire appel, selon Jean Veil, conseil de Didier Lombard. L’avocat a accusé le tribunal d’avoir « trafiqué le droit » et a dénoncé « une décision totalement démagogiqu­e ».

Les prévenus devront verser solidairem­ent plus de trois millions d’euros de dommages et intérêts aux parties civiles, anciens employés et familles de victimes…

● En quoi consistent les faits reprochés ?

L’affaire remonte à dix ans. France Télécom, devenue Orange en 2013, faisait alors la une des médias en raison de suicides parmi ses salariés. En juillet 2009, Michel Deparis, un technicien marseillai­s, mettait fin à ses jours en critiquant dans une lettre le « management par la terreur ». « Je me suicide à cause de France Télécom. C’est la seule cause », écrivaitil. Deux mois plus tard, une première plainte était déposée par le syndicat Sud.

Le tribunal a examiné en détail les cas de trente-neuf salariés : dix-neuf se sont suicidés, douze ont tenté de le faire et huit ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail. Le procès portait sur la période 20072010, sur les plans NExT et Act qui visaient à transforme­r France Télécom, entreprise de 100 000 salariés, en trois ans, avec notamment l’objectif de 22 000 départs et 10 000 mobilités. France Télécom avait été privatisée en 2004.

Du 6 mai au 11 juillet, les témoignage­s s’étaient succédé à la barre, donnant une idée précise du travail qui faisait sombrer des employés dans la dépression. Il a été question de mutations fonctionne­lles ou géographiq­ues forcées, de baisses de rémunérati­on, de mails répétés incitant au départ…

En 2006, Didier Lombard disait aux cadres que les départs devaient se faire « par la fenêtre ou par la porte ». À l’audience, les prévenus avaient parlé de départs volontaire­s ; c’était une réduction des effectifs « à marche forcée », a jugé au contraire le tribunal, pour qui le volontaria­t des départs n’était qu’un « simple affichage ». Les trois ex-dirigeants ont mis la « pression sur l’encadremen­t » qui « a répercuté cette pression » dans l’ensemble de l’entreprise, « créant un climat anxiogène dans le quotidien de tous les agents », ont estimé les juges. Ils ont élaboré « une politique d’entreprise issue d’un plan concerté pour dégrader les conditions de travail des agents de France Télécom afin d’accélérer leurs départs définitifs de l’entreprise ».

● Une « grande victoire » pour les syndicats

« Je crois que c’est une décision qui fera date », a commenté Sylvie Topaloff, l’avocate du syndicat Sud et de nombreuses parties civiles. Le tribunal a « en quelque sorte écrit un bréviaire de ce qu’il est possible de faire quand on gère une entreprise et de ce qui est interdit », a renchéri son confrère JeanPaul Teissonniè­re.

C’est « une grande victoire » et une «reconnaiss­ance nette des préjudices subis », s’est félicité Patrick Ackermann (Sud). « Nos pensées vont en priorité aux collègues qui se sont suicidés et à leurs familles », a déclaré Sébastien Crozier, de la CFE-CGC. Parmi les proches de victimes présents dans la salle comble, la famille de Rémy Louvradoux qui s’est suicidé en s’immolant par le feu sur un parking de France Télécom. « Les autres Didier Lombard dans d’autres entreprise­s publiques ou privées, il faut qu’ils sachent que s’ils continuent à mettre en place des politiques managérial­es qui poussent des gens à la dépression ou au suicide, on viendra les chercher, ils seront amenés devant un tribunal et ils seront condamnés » ,a réagi son fils, Raphaël Louvradoux. « Tant que eux ou d’autres ne sont pas allés en prison pour des actes comme ça, je ne serai jamais complèteme­nt satisfait ni soulagé », a cependant précisé ce jeune homme. Les peines de moins de deux ans de prison sont généraleme­nt aménagées en France.

 ??  ?? Le PDG entre  et , Didier Lombard, écope de la plus lourde peine. (Photo AFP)
Le PDG entre  et , Didier Lombard, écope de la plus lourde peine. (Photo AFP)

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