Monaco-Matin

Nadine Cretin : « Noël est une fête unique »

Interview Cette historienn­e se passionne depuis toujours pour la fête de Noël. Du choix du 25 décembre à la tradition de la bûche, elle nous fait découvrir Noël à travers plus de 2 000 ans d’histoire

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT / ALP

Pourquoi fête-t-on Noël le  décembre ?

Dans l’esprit de beaucoup de gens, il s’agit d’une fête confession­nelle. Mais Noël ne s’est calé sur cette date du  décembre qu’au IVe siècle. Rien dans les Évangiles ne permet de dater précisémen­t la naissance du Christ au  décembre. Concernant cet événement, on a des éléments qui nous indiquent qu’il y avait des bergers dans les champs alentour, probableme­nt en train de surveiller l’agnelage, ce qui pourrait d’ailleurs situer la naissance de Jésus en novembre, mais guère plus. En fait, la date du  a été choisie de façon arbitraire. Pour l’église, il fallait d’abord contrer ces fêtes romaines appelées les Saturnales, qui célébraien­t le solstice d’hiver, du  au  décembre environ. Il y avait ensuite la fête du dieu Mithra, une divinité perse liée au soleil, adoptée par les Romains, née et célébrée le  décembre. Le choix de cette date pour situer la naissance de Jésus a donc sans doute obéi à une volonté de briser cette concurrenc­e.

Toutes les religions fêtent-elles Noël ?

Aujourd’hui, on ne peut pas échapper à la fête de Noël. Dans les écoles, à la télé, devant les vitrines, sur leur écran d’ordinateur ou de téléphone, les enfants ne peuvent ignorer les messages

‘‘ appelant à la célébratio­n, sans même faire référence à une quelconque pratique religieuse. Et les enfants qui ne sont pas d’origine chrétienne sont comme tous les autres : ils attendent le réveillon de Noël en tant que pratique sociale et culturelle. C’est ce qui rend d’ailleurs cette fête unique : Noël n’est ni un baptême, ni un mariage, ni une communion. C’est aujourd’hui la fête familiale par excellence. Même si les habitudes ont un peu changé avec les familles recomposée­s, qui sont amenées à le fêter plusieurs fois, ça continue de s’appeler Noël. En ce sens, c’est plus devenu un moment qu’une date.

Pourquoi et depuis quand Noël rime-t-il avec abondance ? À quoi correspond­ent les cadeaux ?

Il faut remonter aux quêtes menées par les enfants à la période de Noël, que l’on retrouve aujourd’hui avec Halloween, et qui sont de tradition très ancienne.

On en retrouve d’ailleurs des traces dans toute l’Europe. En France, on disait «Augui l’an neuf », ce qui était une façon d’annoncer la nouvelle année de manière positive. Et le fait de donner quelque chose aux enfants à ce moment-là, même un présent modeste, était une façon de s’approprier ces voeux de prospérité. Quant à la tradition des cadeaux, il faut encore remonter aux Saturnales, au cours desquelles une journée était dédiée aux cadeaux pour les enfants, dont certains, en terre cuite, représenta­ient – déjà – des poupées ou des chars. Dans nos sociétés contempora­ines, il convient de distinguer le passage des cadeaux alimentair­es – pomme, orange puis pâtisserie, qui ont d’ailleurs entraîné l’apparition des marchés de Noël – aux jouets.

Le jouet, lui, est contempora­in de l’avènement de la bourgeoisi­e, et des moyens dont disposait cette classe. Enfin, il ne faut pas oublier que le cadeau est aussi une façon de procurer de la satisfacti­on à celui qui offre. C’est ce que l’ethnologue française Martine Segalen appelle « le gaspillage cérémoniel », qui se produit notamment à l’occasion des mariages : lors des fêtes, on veut faire plus que d’habitude.

Sait-on d’où viennent les marqueurs de Noël : repas de réveillon, sapin ?

Le sapin est quelque chose de très ancien. Au IIe siècle, dans le nord de l’Afrique alors occupé par les Romains, l’apologiste Tertullien reprochait aux chrétiens de décorer leurs portes de maison avec « de la verdure et des chandelles », exactement comme le faisaient les païens avec les Saturnales. À cette époque, la verdure entrait donc déjà dans la maison au moment de Noël. L’origine du repas de réveillon est aussi à chercher du côté de la civilisati­on romaine : à l’époque, on parlait de la tabulata fortuna, « la table qui porte chance », sur laquelle il fallait qu’il y ait une profusion d’aliments afin de solliciter la bonne fortune. Noël se situe dans le cadre du solstice d’hiver, période marquée par le raccourcis­sement des jours, le refroidiss­ement de la températur­e, et qui incarne la fin d’un cycle, mais c’est aussi un grand moment d’espoir, puisque l’année va repartir.

La bûche a elle aussi une histoire particuliè­re…

Il s’agit de quelque chose de très ancien. Il semble que cette tradition remonte à la fête celtique de Samain, où l’on célébrait « le feu nouveau », qui était d’ailleurs parfois rallumé par les druides euxmêmes.

‘‘ Ce bois devait être du hêtre, du chêne ou de l’arbre fruitier, et la forme de la bûche devait être particuliè­rement soignée.

Sa combustion, qui devait être lente, représenta­it un bon présage pour l’année à venir. Chacun faisait cela à sa manière : les Bretons la déposaient dans l’âtre avec beaucoup de solennité ; en Provence, elle était installée et allumée par deux personnes : le plus âgé et le plus jeune membre de la famille. Notre bûche pâtissière, qui est arrivée avec l’invention de la crème au beurre, à la fin du XIXe siècle, n’est que la pâle imitation de cette bûche qu’on déposait jadis dans la cheminée.

Pourquoi parle-t-on de Noël comme d’une période de trêve ?

On dit parfois que Noël est le théâtre de drames, de disputes familiales, mais je ne pense pas que cette image soit juste. Noël est au contraire un moment de réconcilia­tion, de retrouvail­les, qui se joue autour d’un repas, un peu comme le Thanksgivi­ng américain.

J’ai coutume de dire que Noël est une fête où l’on ouvre son coeur et son porte-monnaie. D’ailleurs, si on observe ce qui se passe, on note que le mois de décembre est le moment privilégié des ventes de charité, du Téléthon, des collectes des banques alimentair­es…

En tant qu’historienn­e, diriezvous que la constructi­on de cette fête à travers les siècles est un exemple unique ?

On reproche à beaucoup de fêtes d’être devenues trop commercial­es, un mal qui frappe aussi des célébratio­ns comme les communions, qui s’accompagne­nt désormais de cadeaux de grande valeur. Mais ce gaspillage cérémoniel, pour reprendre à nouveau ce terme, ne doit pas occulter le reste. Noël conjugue beaucoup de facteurs qui rendent cette fête unique : pour les chrétiens, elle marquera toujours la naissance du Christ, mais le repas de réveillon, les cadeaux, le sapin, la bûche : tout cela vient aussi de la célébratio­n du solstice d’hiver. Quelle que soit la raison ou la tradition que nous plaçons en premier, nous avons besoin de la fête de Noël, parce qu’elle intervient en plein hiver, qu’elle marque le réconfort et qu’elle favorise la réunion de la famille.

C’est la fête familiale par excellence”

Pour les chrétiens, elle marquera toujours la naissance du Christ ”

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(Photo ALP) Nadine Cretin entretient un blog passionnan­t sur l’histoire des fêtes : nadine-cretin.com.

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