Quatre mois ferme après huit mois de détention provisoire
Àforce de tergiverser, un Polonais de 49 ans, soupçonné du vol d’une pochette à Cannes et interpellé par les policiers sur le quai de la gare de Monaco, avait fini à la maison d’arrêt le 23 avril dernier. À l’époque, le magistrat instructeur l’avait placé en détention provisoire dans le cadre de cette procédure pour les besoins de l’enquête.
Huit mois plus tard, l’instruction bouclée, le prévenu vient de comparaître, menotté, devant le tribunal correctionnel pour des délits de recel de vol et d’usurpation d’identité. Condamné à quatre mois de prison ferme, les atermoiements de l’intéressé auront abouti à une incidence superflue de quelque 120 jours sur la durée de son incarcération.
Recel de vol et usurpation d’identité
À l’audience, on retiendra le cheminement qui a mené le quadragénaire à la commission d’une infraction. Aux moments des faits, ce SDF sans profession vivait de petits boulots au black. Le plus souvent, il tendait la sébile pour recueillir quelques piécettes en échange d’airs de guitare dans les rues. « Alors, d’où vient cette pochette ? », demande le président Florestan Bellinzona
(*). « Je ne l’ai pas volée. Je l’ai trouvée à Antibes. Comme la propriétaire était italienne, je voulais la restituer à Monaco pour des raisons de proximité avec la frontière. J’avais également l’intention d’obtenir une rétribution en Principauté en me rendant auprès des services sociaux. »
Le magistrat parle de dissimulation. Un étrange commentaire suit : « Je n’ai pas cherché à cacher la pochette. Un policier l’a prise aussitôt.
Je ne sais pas s’il ment. Moi, en revanche je dis la vérité. D’ailleurs, si on visionne les caméras, on verra que je ne mens pas. Je n’en suis pas si sûr de la part de l’agent… » L’ivresse serait-elle responsable d’autres malversations ? « Interpellé, vous aviez décliné l’identité de votre frère. Pourquoi ? s’interroge le président. Votre état d’ébriété avait-il un rapport ? »
La réponse est un peu alambiquée. « On m’a notifié des choses au nom de mon frère jumeau, parce que le policier m’a arraché les copies des pièces d’identité lui appartenant. Comme on m’a enregistré en tant que Piotr, j’ai signé une première fois avec ce prénom. Puis, dans tous les autres documents, j’ai mentionné le mien. J’avais un passeport à mon nom… » L’attitude défensive du prévenu – « les policiers ont menti » – revient comme un leitmotiv et agace le président. « Outre une condamnation en France, étiez-vous recherché par la police de votre pays ? »
Protestation ! «Je ne suis pas recherché par la police polonaise, assure le détenu. Je n’en sais pas plus sur les dix mois de prison mentionnés dans votre dossier. C’est ma famille qui me cherche… »
Il est « convaincu de dire la vérité »
Les versions fantaisistes et incohérentes du quadragénaire fatiguent aussi la procureure Alexia Brianti.
« La pochette a bien été dérobée dans le sac de la victime. Or cet individu nie le vol et l’avoir cachée lors du contrôle à Monaco. Il détenait plusieurs tournevis, un couteau et tente de se faire passer pour son frère jumeau. Sanctionnez sa personnalité mensongère et ses antécédents judiciaires avec huit mois de prison ferme. » La vie de bohème de ce personnage atypique n’en fait pas pour autant un bandit de grand chemin pour la défense.
« C’est quelqu’un de maladroit, prétend Me Stephan Pastor. « Il répète à l’envi un certain schéma obsessionnel. Convaincu de dire la vérité, il ressent une grande injustice. Ni le vol ni le recel ne sont caractérisés. La victime n’explique pas comment la pochette a disparu. Elle pense plutôt l’avoir égarée. Quant à l’usurpation d’identité de mon client, elle est due à une très forte alcoolémie au moment de son arrestation. Soyez indulgent pour cette infraction. Préférez la relaxe pour le recel. Le prévenu est détenu depuis plusieurs mois. »
Le tribunal s’en tiendra à quatre mois de prison ferme. * Assesseurs : Séverine Lasch et Léa Parienti.