Sortie perturbée de Macron : un journaliste en garde à vue
Le journaliste et militant Taha Bouhafs (1), qui avait signalé sur Twitter la présence d’Emmanuel Macron vendredi soir dans un théâtre parisien, a été placé en garde à vue dans la foulée, puis déféré hier soir devant un juge d’instruction pour « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations ». Un appel pour sa libération avait été signé, entre autres, par le collectif Reporters en colère, le Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT), la Ligue des droits de l’homme, le syndicat Solidaires, les médias L’Humanité et Mediapart ou encore l’ONG Attac. Il est finalement ressorti du tribunal peu après 23 heures. Selon Reporters en colère, le parquet a demandé sa mise en examen, mais la juge d’instruction l’a refusée.
Il avait été interpellé à l’issue de la représentation, à laquelle assistaient le président de la République et son épouse. La pièce avait été brièvement perturbée : « entre 100 et 200 » manifestants selon un autre journaliste présent sur place, quelques dizaines selon d’autres témoignages, s’étaient regroupés devant le théâtre pour scander des slogans hostiles à la réforme des retraites ou à Emmanuel Macron (tel « Louis XVI, on l’a décapité, Macron, Macron, ça peut recommencer », cité
par « Là-bas si j’y suis », le site d’information de Daniel Mermet pour lequel travaille Taha Bouhafs).
« La soirée risque d’être mouvementée »
Les forces de l’ordre étaient ensuite intervenues pour contenir une tentative d’intrusion dans l’établissement d’une trentaine d’entre eux (nos éditions d’hier). Emmanuel Macron a été « sécurisé », selon son entourage, pendant quelques minutes à l’extérieur, puis est retourné voir la pièce jusqu’au bout. Avant le début de la représentation, Taha Bouhafs avait écrit sur Twitter : «Je suis actuellement au théâtre des Bouffes du Nord (métro La Chapelle). 3 rangées derrière le président de la République. Des militants sont quelque part dans le coin et appelle (sic) tout le monde à rappliquer. Quelque chose se prépare… la soirée risque d’être mouvementée. » Il avait ensuite demandé à ses abonnés s’il devait ou non lancer sa chaussure sur le Président, à l’image du célèbre geste d’un journaliste irakien contre George W. Bush en 2008, avant de préciser : « Je plaisante. »
Son arrestation a suscité de nombreuses réactions. « On arrête un journaliste pour avoir tweeté sur la présence du Méprisant au théâtre. Bienvenue en #Macronie », a ainsi réagi sur Twitter la députée LFI Danièle Obono. « Ce qu’il s’est passé aux #BouffesduNord est inacceptable, inadmissible. Lorsqu’on cherche à s’en prendre au président de la République, on cherche à atteindre l’institution », a rétorqué la députée et porte-parole LREM Célia de Lavergne.
En référence aux diverses actions récentes menées par des opposants à la réforme des retraites, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a jugé sur Twitter que « les violences, intrusions, intimidations,
empêchements et dégradations commis ces derniers jours appellent une condamnation ferme et sans ambiguïté ».
Une autre députée LREM, Aurore Bergé, a mis en cause le statut de journaliste de Taha Bouhafs : « Le militant Taha Bouhafs a été interpellé (et qu’on ne parle pas de “journaliste” !) », a-t-elle tweeté. Ce à quoi
le site d’information « Là-bas si j’y suis » a répliqué : «@T_Bouhafs est payé en tant
que journaliste sur la Convention collective des journalistes par une association reconnue service de presse en ligne d’information politique et générale par la Commission paritaire des publications et agences de presse. » Pour Daniel Mermet, Taha Bouhafs « a informé, comme n’importe quel journaliste l’aurait fait, qu’il se trouvait dans la même salle que le président de la République et que des manifestants se trouvaient à l’extérieur ».
1.Taha Bouhafs, connu pour avoir filmé Alexandre Benalla en train de violenter un couple à Paris le 1er mai 2018, avait déjà été placé en garde à vue en juin alors qu’il couvrait une manifestationenbanlieueparisienne,s’attirantlesoutiend’une partie de la profession. Il doit être jugé le 25 février à Créteil pour « outrage et rébellion ». Le jeune homme de 22 ans a été un jeune militant LFI et candidat malheureux dans la 2e circonscription de l’Isère en 2017. En 2019, il avait toutefois indiqué à Libération ne plus être impliqué dans ce parti.