Jacques Weber : « Pas de TNN à l’extérieur de la ville »
A Nice pour le nouveau rendez-vous mensuel de Catherine Ceylac, Conversation intime, le comédien et ancien directeur du Théâtre de Nice s’exprime sur le projet de déménagement de Christian Estrosi
Silhouette imposante, poigne d’acier et voix tonitruante, il émane de lui ce charisme qui est demeuré intact. Difficile d’imaginer celui qui s’est imposé comme un monstre de théâtre, avec cinq cents Cyrano et plus de cinquante-cinq années sur les planches, se prêtant à une délicate mise à nu, par le prisme d’une Conversation intime. C’est pourtant ce que Jacques Weber a consenti à faire hier soir, en compagnie de Catherine Ceylac et face à un public venu en nombre, sur la scène du TNN, le Théâtre de Nice. En ce lieu qu’il a dirigé quinze années durant, avant que ne lui succèdent Daniel Benoin, Irina Brook et enfin Muriel Mayette-Holtz. Confidences d’un ogre de vie, au verbe rabelaisien, dans l’intimité de sa loge...
Qu’est-ce qui vous a convaincu de participer à cette Conversation intime ?
Trois choses : le retour à Nice, Muriel Mayette-Holtz, à laquelle j’avais envie de donner un petit coup d’épaule pour ses débuts en tant que directrice du TNN, et Catherine Ceylac, qui sait conduire ce genre d’exercice à la perfection. Je me suis souvent entretenu avec elle dans l’émission Thé ou café ,etjesais que cette femme possède énormément d’élégance et de finesse. Je n’aime pas trop en principe m’étendre sur le divan, mais je savais qu’avec elle, il n’y aurait aucun problème !
Vous vous étiez entretenu avec elle de ce qui allait être évoqué ?
Quand il s’agit de parler de soi, il ne faut rien préparer. Parce qu’on n’est pas un sujet suffisamment important pour le potasser. Il faut se laisser aller à une totale franchise, une entière confiance par rapport à la personne qui vous interroge et par rapport au public. Le fait que la salle soit comble m’a énormément touché, parce que ça signifie qu’il y a quelque chose qui s’est fidélisé entre le public niçois et moi, et j’y suis bien sûr très sensible.
Qu’avez-vous ressenti en foulant la scène du TNN, dont vous avez été le directeur de à ?
C’est toujours très émouvant, parce que d’abord cela m’a permis de revoir des gens avec qui j’avais travaillé. Et de me retrouver dans cette loge où j’ai vécu tellement de tracs, de moments de découragement, d’enthousiasme, c’est quelque chose de fort. Comme de revoir cette salle de théâtre qui n’est certes pas parfaite, mais qui est très belle, qui a quelque chose de fougueux et de chaleureux.
Avez-vous gardé un oeil sur le travail de vos successeurs ?
Non j’ai gardé des amitiés, un attachement au lieu lui-même, puisque c’est moi qui en ai été le maître d’oeuvre. Il est né au moment où j’étais là, j’ai connu aussi l’ancien théâtre, qui était formidable d’ailleurs. Mais je ne me suis pas préoccupé, pour diverses raisons, des directions qui se sont succédé.
Et l’arrivée de Muriel MayetteHoltz, qu’en pensez-vous ?
Le TNN est une grosse maison qui mérite quelqu’un comme elle. Elle a l’énergie, la générosité, et la compétence bien sûr. C’est une véritable enfant du sérail, elle a connu la vie de troupe, elle a été administratrice de la Comédie française ce n’est pas rien, ensuite elle s’est occupée de la Villa Médicis ce qui n’est pas une mince affaire non plus, donc il y a tout un bagage. Mais peu importent les postes, ce qu’on voit chez elle c’est une énergie, une envie de faire quelque chose, une détermination, un bonheur d’avoir en charge ce lieu. Elle a une générosité que j’apprécie énormément. Car je préfère la générosité à la politique.
Que vous inspire la promesse de Christian Estrosi de déménager le TNN dans l’ancienne église des Franciscains, pour prolonger la promenade du Paillon ?
C’est très ambigu. Je n’ai pas à discuter de la politique ou de la personnalité de Christian Estrosi, tout cela ne m’intéresse pas du tout. Mais compte tenu du fait que la coulée verte est une formidable réussite, notamment parce que cette gare routière était impensable, on peut se poser des questions. Parce que ce théâtre correspond à une époque très particulière, l’ère Médecin. Et comme il est imparfait, qu’il n’a pas été entretenu, à l’heure actuelle, il mérite des travaux.
Donc la question à se poser, si j’essaie de me mettre à la place de Muriel Mayette-Holtz, c’est : estce qu’il faut faire des travaux très importants dans ce théâtre, mais qui correspondraient peut-être à un coût plus important, et moins intéressant que si on créait un nouveau lieu. Un lieu qui surtout ne soit pas à l’extérieur de Nice, mais qui reste intégré à la ville. C’est ça le plus important, que le théâtre ne soit pas décentralisé. Même s’il est vrai que ce qui est rageant, c’est que ce théâtre qui n’a que trente ans soit démoli. Alors qu’il avait coûté à l’époque dix milliards de centimes. Donc je ne suis pas résolument pour ni résolument contre.
Quid du fait que la capacité d’accueil du théâtre serait alors réduite de moitié ?
Peu importe, parce que ce qui compte, c’est qu’il y ait un lieu de théâtre formidable. Je le vois quand je suis en tournée, ce qui est important c’est qu’il y ait un lieu qui ait de vraies dimensions de théâtre, c’est-à-dire cinq cents places. Un grand plateau, et une salle où l’on entend et où l’on voit parfaitement, où il y a un rapport scène-salle clair et exact. Et il ne faut pas oublier non plus que le TNN n’est pas un théâtre national, ça c’est une « emberlificoterie », ça reste un centre dramatique national.
Vous êtes par ailleurs en tournée avec une pièce de Pascal Rambert, intitulée Architecture ?
Oui, je suis entouré d’un casting impressionnant, avec notamment Emmanuelle Béart, Anne Brochet, Denis Podalydès. C’est une pièce qui parle, par le prisme d’une famille d’intellectuels, du monde de l’entre-deux-guerres, un monde qui se désagrège, et qui rappelle à certains égards l’atmosphère actuelle. C’est une pièce qui dure trois heures. Ce qui signifie, pour les comédiens, que la journée est consacrée à cela. Même si vous faites d’autres activités, votre cerveau sait que le soir il aura rendez-vous avec cette énorme chose dans laquelle il y a une tension dramatique considérable. C’est moi qui ouvre d’ailleurs la pièce par un monologue de vingt minutes, cela équivaut à courir un quatre cents mètres olympique, car il faut que je sois formidable tous les soirs ! Il faut tout donner, mais pas n’importe comment. Pour reprendre la phrase de Louis Jouvet : ‘‘j’aime bien les tripes, quand elles sont bien accommodées !’’