Monaco-Matin

Le gros joueur laisse une dette de 7 700 000 € : à qui la faute ?

- JEAN-MARIE FIORUCCI * Assesseurs : Florestan Bellinzona et Françoise Dornier.

Laisser à une tierce personne le soin de remplir le montant dû, non inscrit sur le chèque, et l’encaisser un an après son émission, rend-il ce moyen de paiement valable ou non ? Il reviendra au tribunal correction­nel de Monaco de le dire.

Un grand joueur du Casino de Monte-Carlo, en effet, a opté pour cette méthode afin de régler l’intégralit­é de ses mises successive­s sur les tapis verts du mythique établissem­ent au cours de l’année 2018. Une pratique courante pour les gros joueurs, paraît-il, qui laissent un chèque en blanc à la Société financière et d’encaisseme­nt (SFE), destinatai­re de la créance, qui se charge ensuite de le remplir. Or, le chèque en question n’a pu être encaissé. Le compte à débiter, détenu en son temps par la banque Safra, était clôturé.

C’est un sacré pactole de 7 700 000 euros qui file ainsi sous le nez de la filiale de la SBM, dont la principale activité consiste à proposer des prêts de plaques et jetons aux bons clients.

« Un moyen de paiement, pas une garantie »

Faut-il cependant retenir l’infraction de chèque sans provision ? Pour répondre à la question, le tribunal correction­nel a décidé de prendre tout son temps. Le président Jérôme Fougeras Lavergnoll­e (*) a prévu de mettre l’affaire en délibéré jusqu’au mardi 18 février, à 9 h. Attente pertinente. Car à l’audience, le litige a engendré un tonitruant affronteme­nt verbal entre les deux adversaire­s : Me Thomas Giaccardi, pour la partie civile, et Me Sophie Jonquet, du barreau de Nice, pour le prévenu, un homme d’affaires britanniqu­e, d’origine libanaise, dont la fortune est estimée à quelque 400 millions d’euros. Mais surtout décrit comme un financier redoutable par l’avocat monégasque. « Pour apurer la dette, avance le conseil de la SFE, cette société a fait preuve d’un réel esprit de conciliati­on. Peine perdue. Cet homme n’est plus venu à Monaco. Sans nouvelle, le chèque est remis à la Société Générale pour encaisseme­nt le 17 avril 2019. Or, bizarremen­t, le lendemain, une télécopie est adressée par le joueur. Il est demandé au destinatai­re de ne pas procéder à l’encaisseme­nt du chèque, le compte étant clôturé depuis septembre 2018. C’est trop tard et le plaignant n’a jamais été informé de cette précision. Il y a donc infraction. Le chèque n’est pas un moyen de garantie mais de paiement. Laisser en blanc le cadre réservé à la somme ne le rend pas inutilisab­le. »

Le demandeur donne en exemple la machine qui remplit automatiqu­ement la formule aux caisses du supermarch­é. Toutes les mentions imprimées sont valables ! «Vu la somme en jeux, poursuit Me Giaccardi, la mauvaise foi doit être retenue. Ce personnage a fermé son compte pour éviter un paiement sans provision. »

Une grosse amende requise par le parquet

Du côté du parquet, l’infraction est caractéris­ée par le défaut d’exécution d’une obligation. Une peine d’amende à la hauteur des revenus du prévenu doit être retenue, pour le premier substitut Cyrielle Colle. Toutefois, l’avocate niçoise ne s’en laisse pas conter et s’arme d’arguments pour annihiler les prétention­s de la partie civile. « Le chèque a été remis comme caution. Ce n’était pas un moyen de paiement, sans somme, sans bénéficiai­re, sans date, sans lieu. Au supermarch­é, vous êtes présent, avec un droit de regard sur les éléments mentionnés sur le chèque pour donner votre accord. On n’aurait jamais dû le mettre à l’encaisseme­nt. Une somme indétermin­ée ne permet pas de rentrer en voie de condamnati­on. Une procédure civile est en cours où la juridictio­n concernée doit confirmer l’existence réelle de ce chèque. Considérez que le préjudice n’a aucune relation avec la somme demandée. In fine ,c’estladécis­ion pénale qui s’appliquera à la procédure civile. »

Réponse dans trois semaines.

 ?? (Photo Jean-François Ottonello) ?? Le tribunal devra dire si le joueur du Casino de Monte-Carlo est responsabl­e ou pas.
(Photo Jean-François Ottonello) Le tribunal devra dire si le joueur du Casino de Monte-Carlo est responsabl­e ou pas.

Newspapers in French

Newspapers from Monaco