Le gros joueur laisse une dette de 7 700 000 € : à qui la faute ?
Laisser à une tierce personne le soin de remplir le montant dû, non inscrit sur le chèque, et l’encaisser un an après son émission, rend-il ce moyen de paiement valable ou non ? Il reviendra au tribunal correctionnel de Monaco de le dire.
Un grand joueur du Casino de Monte-Carlo, en effet, a opté pour cette méthode afin de régler l’intégralité de ses mises successives sur les tapis verts du mythique établissement au cours de l’année 2018. Une pratique courante pour les gros joueurs, paraît-il, qui laissent un chèque en blanc à la Société financière et d’encaissement (SFE), destinataire de la créance, qui se charge ensuite de le remplir. Or, le chèque en question n’a pu être encaissé. Le compte à débiter, détenu en son temps par la banque Safra, était clôturé.
C’est un sacré pactole de 7 700 000 euros qui file ainsi sous le nez de la filiale de la SBM, dont la principale activité consiste à proposer des prêts de plaques et jetons aux bons clients.
« Un moyen de paiement, pas une garantie »
Faut-il cependant retenir l’infraction de chèque sans provision ? Pour répondre à la question, le tribunal correctionnel a décidé de prendre tout son temps. Le président Jérôme Fougeras Lavergnolle (*) a prévu de mettre l’affaire en délibéré jusqu’au mardi 18 février, à 9 h. Attente pertinente. Car à l’audience, le litige a engendré un tonitruant affrontement verbal entre les deux adversaires : Me Thomas Giaccardi, pour la partie civile, et Me Sophie Jonquet, du barreau de Nice, pour le prévenu, un homme d’affaires britannique, d’origine libanaise, dont la fortune est estimée à quelque 400 millions d’euros. Mais surtout décrit comme un financier redoutable par l’avocat monégasque. « Pour apurer la dette, avance le conseil de la SFE, cette société a fait preuve d’un réel esprit de conciliation. Peine perdue. Cet homme n’est plus venu à Monaco. Sans nouvelle, le chèque est remis à la Société Générale pour encaissement le 17 avril 2019. Or, bizarrement, le lendemain, une télécopie est adressée par le joueur. Il est demandé au destinataire de ne pas procéder à l’encaissement du chèque, le compte étant clôturé depuis septembre 2018. C’est trop tard et le plaignant n’a jamais été informé de cette précision. Il y a donc infraction. Le chèque n’est pas un moyen de garantie mais de paiement. Laisser en blanc le cadre réservé à la somme ne le rend pas inutilisable. »
Le demandeur donne en exemple la machine qui remplit automatiquement la formule aux caisses du supermarché. Toutes les mentions imprimées sont valables ! «Vu la somme en jeux, poursuit Me Giaccardi, la mauvaise foi doit être retenue. Ce personnage a fermé son compte pour éviter un paiement sans provision. »
Une grosse amende requise par le parquet
Du côté du parquet, l’infraction est caractérisée par le défaut d’exécution d’une obligation. Une peine d’amende à la hauteur des revenus du prévenu doit être retenue, pour le premier substitut Cyrielle Colle. Toutefois, l’avocate niçoise ne s’en laisse pas conter et s’arme d’arguments pour annihiler les prétentions de la partie civile. « Le chèque a été remis comme caution. Ce n’était pas un moyen de paiement, sans somme, sans bénéficiaire, sans date, sans lieu. Au supermarché, vous êtes présent, avec un droit de regard sur les éléments mentionnés sur le chèque pour donner votre accord. On n’aurait jamais dû le mettre à l’encaissement. Une somme indéterminée ne permet pas de rentrer en voie de condamnation. Une procédure civile est en cours où la juridiction concernée doit confirmer l’existence réelle de ce chèque. Considérez que le préjudice n’a aucune relation avec la somme demandée. In fine ,c’estladécision pénale qui s’appliquera à la procédure civile. »
Réponse dans trois semaines.