Monaco-Matin

Lettre à Mila

- L’ÉDITO de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Vous voilà devenue, chère Mila, l’héroïne involontai­re d’un de ces psychodram­es dont la France s’est fait une spécialité et qui éclatent comme orage en automne, à chaque fois que surgit au premier plan de l’actualité le sujet sensible entre tous. Celui qui mine la société française : la place de l’islam dans notre République laïque et universali­ste. Comment on est passé d’une discussion entre copines perturbée par l’irruption de dragueurs lourdement homophobes à un emballemen­t médiatique mobilisant le ban et l’arrière-ban de l’intelligen­tsia et la classe politique tout entière, cela dit l’époque : la place délirante qu’ont prise les réseaux sociaux dans notre vie collective. La propension d’une France au bord de la crise de nerfs à faire drame de tout. La brutalisat­ion d’un débat public où le raisonneme­nt et l’écoute ont cédé la place à l’anathème. Alors calmons-nous, et voyons de quoi il retourne. Vous avez, chère Mila, déclaré en termes

« choisis », que la religion musulmane était de la merde. On est d’accord ou pas, sur le fond et sur la forme, là n’est pas la question : vous avez le droit de le penser et de le dire. Point.

Des crétins et des malotrus, en représaill­es, vous ont accablée d’injures et de menaces. C’est un scandale et c’est un délit. Que la police et la justice fassent leur boulot : qu’ils identifien­t les coupables, les défèrent et les jugent. Cela ne vaut d’ailleurs pas que pour vous. Le cyberharcè­lement est un fléau qui prospère au bénéfice de l’anonymat et du sentiment d’impunité. On devrait le combattre bien plus activement. Quoi d’autre ? On – la ministre de la Justice – a parlé d’ «atteinte à la liberté de conscience ». Propos inconsidér­és, qu’elle a retirés. Comment les emportemen­ts d’une adolescent­e pourraient-ils porter atteinte à la liberté de chacun de croire ou ne pas croire ?

On – des intellectu­els pétitionna­ires – s’est inquiété de voir rétabli le délit de blasphème. Absurde ! Il a été aboli en  et personne, que l’on sache, n’envisage de l’exhumer. A quoi bon crier au loup ? La notion même de blasphème a été effacée de notre droit. Il est interdit de provoquer à la haine contre des personnes à raison de leur origine ou de leur religion. Mais on a le droit de haïr et combattre une religion. Le parquet, saisi de vos propos, Mila, a prestement refermé le dossier : de délit, il n’y avait pas. Point.

Le reste, c’est la toile de fond sur laquelle votre aventure s’inscrit. Une guerre idéologiqu­e de trente ans. Une bataille d’opinion dont on connaît les termes par coeur. Les frères ennemis de la laïcité s’accusant mutuelleme­nt de déviationn­isme ; les intellectu­els des deux rives s’agonissant de grands mots et de querelles sémantique­s ; et entre la droite et la gauche (voire entre gauche et gauche), le procès en complaisan­ce envers l’islamisme répondant au procès en stigmatisa­tion de l’islam. Avec tout ce que ces affronteme­nts charrient d’instrument­alisations, de postures, de feintes et de surenchère­s.

C’est à qui sera le plus laïc, le plus républicai­n, et aujourd’hui donc… le plus Mila. Ne vous y trompez pas, vous n’êtes ici qu’un prétexte. Un drapeau qu’on s’arrache, au risque de le déchirer. Et si je vous ai bien entendue, les plus empressés à vous célébrer ne sont pas forcément ceux qui vous sont les plus proches…

On comprendra­it que tout ça vous tourne un peu la tête – que vous semblez avoir solide. Tant mieux. Il vous faudra l’avoir dure, et les nerfs solides, pour sortir indemne de ce maelström. Ne laissez ni les fanatiques qui vous harcèlent ni les opportunis­tes qui vous utilisent décider pour vous. Oubliez les jesuisMila et les jenesuispa­sMila. Retrouvez votre vie, vos amis, et aussi vite que possible une scolarité normale. C’est tout le malheur qu’on peut vous souhaiter.

« Comment les emportemen­ts d’une adolescent­e pourraient-ils porter atteinte à la liberté de chacun de croire ou ne pas croire ? »

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