Monaco-Matin

Marek Halter : « Le Juif est devenu un thermomètr­e »

L’écrivain, qui a connu enfant le ghetto de Varsovie, s’interroge dans son dernier ouvrage sur l’essence de la haine à l’égard des Juifs, qu’ils voient comme des boucs émissaires de nos peurs

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

L’écrivain français Marek Halter, Juif d’origine polonaise, s’interroge une fois de plus sur le judaïsme et les haines qu’il suscite. A l’invitation du B’nai B’rith Côte d’Azur et du FSJU, il donnera, ce soir à Nice (1), une conférence-dédicace autour de son dernier livre, Pourquoi les Juifs ?

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Comment expliquer, après tant d’années de sensibilis­ation, que l’antisémiti­sme reste si fort ?

Nous vivons une montée de la violence et de la haine. Cela, parce que l’époque ne nous renseigne plus sur notre avenir. Nos parents et grands-parents avaient des rêves collectifs, bons ou mauvais, dont certains ont abouti au goulag, à Auschwitz ou à Hiroshima. Mais ils avaient des rêves. Et ils voulaient un monde meilleur pour leurs enfants. Aujourd’hui, nous ne savons plus où nous allons. Et quand on ne sait pas, on a peur de tout, notre voisin devient un suspect, tenu responsabl­e de nos malheurs et de nos problèmes, du chômage, de l’épidémie qui arrive de Chine… Les jeunes cherchent un espoir collectif, qui est de sauver la planète, c’est formidable, mais on ne sait pas quels seront les rapports entre les huit milliards d’humains dans quelques années. La haine trouve toujours une victime. On a reparlé des Juifs ces temps-ci, mais demain ce seront d’autres, les Roms, les Arabes, les Noirs. Nous accumulons tant de peurs et d’incertitud­es face à l’avenir que ces sentiments doivent trouver une expression. Nous pouvons tous être les victimes de ces peurs qui envahissen­t la société.

Concernant l’antisémiti­sme, quelle est son ampleur réelle ? Les médias ne font-ils pas effet de loupe grossissan­te à chaque dérapage ?

Dans la société apeurée dont je viens de parler, les meilleures des victimes, si je puis dire, sont les Juifs : il y a déjà une tradition, des discours de haine à leur endroit. Ils sont partout et s’ils sont partout, c’est forcément qu’ils complotent, qu’ils veulent avoir un pouvoir politique, économique et médiatique. Nous sommes prisonnier­s d’un paradoxe : il faut en parler pour nous prémunir de la maladie de l’antisémiti­sme. Mais plus on en parle, plus on lui donne de visibilité. C’est pour cela que je redoute une augmentati­on des réactions antisémite­s cette année.

Vous craignez que les Juifs soient « les boucs émissaires d’une société qui a peur ». Sont-ils à jamais condamnés à ce rôle ?

Je pense qu’ils sont condamnés à jamais. Mais je ne crois pas que notre société soit condamnée à vivre dans la peur. Je suis malgré tout un optimiste. Je pense qu’on va vers une société apaisée et l’avenir des Juifs en découlera.

Pourquoi les Juifs ? Vous tournez un peu en rond. La haine à leur encontre remonterai­t à Moïse et aux Dix Commandeme­nts, finissez-vous par écrire…

J’ai essayé de faire un résumé de tous les arguments utilisés pour expliquer la haine des Juifs à travers les siècles. Et j’ai fini par me rendre compte que les premiers textes anti-Juifs remontaien­t aux Egyptiens. Les Juifs sont devenus un peuple autour d’une société cimentée par les mêmes lois. Et le premier qui a imposé ces lois, c’est Moïse. Or, les Dix Commandeme­nts sont les lois les plus subversive­s qui existent, personne ne les respectait en entier. Goethe a eu une phrase qui dit tout : «LeJuif est devenu le thermomètr­e du degré d’humanité de l’Humanité. » Nul n’est obligé d’être juif. Mais si on décide de l’être, on endosse alors certaines valeurs et on devient subversif.

Vous citez le psychiatre Zvi Rex qui écrit que « les Allemands ne pardonnero­nt jamais Auschwitz aux Juifs »…

Cela rejoint l’idée de Camus : nous ne supportons pas longtemps les victimes, qui nous rappellent que nous ne sommes pas tout à fait propres et que nous sommes coresponsa­bles du malheur de l’autre. Quand nous croisons des mendiants, nous changeons souvent de trottoir pour ne pas affronter leur regard.

Que faire de plus pour lutter contre l’antisémiti­sme, au final ?

Il faut être inventif, ne pas avoir peur de changer de discours. J’avais proposé à un ministre de l’Education d’introduire à l’école primaire des histoires sur les trois grandes religions monothéist­es : raconter Moïse mis sur le Nil dans son berceau, le petit Jésus qui naît dans une grange à Bethléem, le petit Mahomet entouré de chameaux… Ce serait aussi passionnan­t que Le Petit Prince.

Il m’a dit que c’était impossible car nous sommes dans une République laïque. Mais ce sont des histoires laïques, des enfances de chefs qui font rêver des milliards d’individus. On peut introduire la compréhens­ion de l’autre en s’adaptant aux nouveaux moyens de communicat­ion.

Et très bien expliquer les Juifs en BD ou par quelques tweets.

1. A 19 h, au centre Kling, 3, avenue Jean-Médecin (renseignem­ents au 04.93.87.51.72).

2. Editions Michel Lafon, 124 pages, 10 euros.

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(DR) Marek Halter : « Si on décide d’être juif, on endosse alors certaines valeurs et on devient subversif. »

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