« Jamais ils n’avaient pris de mesures aussi drastiques »
Milan « presque déserte », Fashion Week interrompue, produits désinfectants dévalisés dans les supermarchés : des Italiens témoignent de l’ambiance dans le nord du pays
Il vient de quitter Milan pour rentrer à Trévise, près de Venise. Lombardie, Vénétie : précisément les deux provinces italiennes touchées par l’épidémie de Covid-19, le « nouveau coronovirus ». « La situation est critique, comme dans toute l’Italie du Nord », témoigne Gianpaolo Marcuzzo. Samedi encore, ce Trévisan de 72 ans était à Milan, avec sa femme Barbara, pour voir leur fille Agnese. Et certains signes ne trompent pas. En pleine Fashion Week, les rues de la capitale de la mode sont d’ordinaire bondées. Pas cette fois-ci. Absence remarquée : « Il n’y avait pas de clients chinois. Or la Chine pèse beaucoup sur le design », explique Gianpaolo.
Fashion Week et Carnaval, victimes collatérales
La Fashion Week a fait les frais de la progression rapide de l’épidémie dans le nord de l’Italie. « Les présentations de collections ont été annulées. Le défilé grand public de Moncler a été annulé aussi », rapporte ce père de famille, joint par téléphone. Plus globalement, « les activités commerciales souffrent » de cette situation exceptionnelle. Pour Gianpaolo Marcuzzo, «legouvernement réagit bien ». Lombardie, Vénétie, Trentin-Haut Adige, Frioul, Emilie-Romagne : « Toute l’Italie du Nord se bouge, adopte des mesures de prévention. Chaque hôpital s’est équipé. À Rome, ils ont ouvert un espace de quarantaine, qui accueille déjà des personnes en observation pour quinze jours. »
À l’instar de la Fashion Week, tous les événements publics ou privés ont été annulés. À Trévise, plus d’école avant le mois de mars. Même le Carnaval de la Venise voisine a dû rendre les armes prématurément. « Ce n’était jamais arrivé ! », s’exclame Gianpaolo. Un nouveau coup dur pour la Sérénissime, après les aque alte dévastatrices de l’automne dernier.
Situations délicates
Certes, il s’agit là de mesures préventives. Et ce virus respiratoire ne doit pas éclipser les traditionnels ravages de la grippe. Mais «des mesures aussi drastiques n’avaient jamais été prises en Italie. Les autorités italiennes savent donc que le problème est grave, ou qu’il peut le devenir », estime Gianpaolo Marcuzzo. Et pour cause : dans un monde ouvert, les zones refuges se font rares. « Les gens voyagent, les biens voyagent… Il est donc sage de se préparer. »
Dans les supermarchés, les rayons des produits désinfectants pour se laver les mains ont été dévalisés. Dans l’arène politique, «latension est montée », mais la traditionnelle foire d’empoigne a laissé place à la concentration générale. Le mot d’ordre : « Prise de conscience, mais pas de panique ». Reste que ces mesures strictes chamboulent la vie de nos voisins nord-italiens. « Nous avons une amie seule avec deux enfants, comment fait-elle s’il n’y a pas d’école ? », s’interroge Gianpaolo Marcuzzo. À Milan, une jeune maman nous livre justement un autre éclairage sur cette crise. Marti Berardi, 33 ans, a passé son dimanche chez elle avec sa fille Sveva, un an. Parce qu’elles étaient « un peu fatiguées de la semaine ».
Mais aussi – surtout ? – parce qu’il est « conseillé de ne pas fréquenter de lieux bondés, ne pas aller faire un tour. Milan est presque déserte, malgré la semaine de la mode. »
Messages « rassurants »
Aujourd’hui, Marti n’ira pas travailler. Pas à l’extérieur, du moins. « Ils ont fermé mon bureau pour la semaine, décidant que l’on fonctionnerait en télétravail. » Mesures de précaution au travail, aussi, pour son compagnon. Pendant ce temps, « les crèches, les écoles et les universités sont fermées. Les supermarchés sont pris d’assaut. Les masques en pharmacie sont épuisés, il faut les commander en ligne. » Paradoxe : si les autorités italiennes ont pris des mesures drastiques, « ils se montrent assez rassurants, tempère Marti Berardi, face à la psychose ambiante. Ils disent que ce n’est rien de plus qu’une grippe. Mais forcément, il y a de la peur. »