Monaco-Matin

« Les Français comprennen­t que l’Etat conduise des missions secrètes »

Jean Guisnel, spécialist­e des questions d’espionnage, nous décrit les dessous de l’ouverture du service liée à la série Le Bureau des légendes et dévoile une partie du quotidien des agents de la DGSE

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK RENAUD / ALP

Le Bureau des légendes redonne depuis 2015 ses lettres de noblesse au métier d’espion en montrant ce qui est caché, le quotidien de la DGSE et de ses agents...

Le Bureau des légendes reste une oeuvre artistique, qui n’a été ni produite, ni financée, ni

« inspirée » par la DGSE. La série d’Éric Rochant se sert de l’univers de la DGSE, qu’il connaît puisqu’il avait réalisé un film d’espionnage remarqué, Les Patriotes, en 1994 . Il a obtenu le droit de tourner des images à l’extérieur des locaux de la DGSE et quelques-unes à l’intérieur, ce qui est exceptionn­el, d’utiliser son logo et surtout, il a rencontré des agents du service dans un cadre officiel. Le résultat fait que, dans la série, rien n’est en contradict­ion absolue avec la manière dont ce service fonctionne. Les gens de la DGSE savent que c’est de la fiction, mais en même temps ils sont très contents que leur service soit présenté comme sérieux, efficace et que la série montre cette partie de leur vie dont ils ne peuvent pas parler avec leur famille. Quant à la DGSE, elle bénéficie d’une très forte valorisati­on de son image.

Le « bureau des légendes » qui, dans la série, pilote les agents clandestin­s envoyés en mission de longue durée à l’étranger existe-il dans la réalité ?

Il existe en effet des agents de la DGSE dotés d’une « légende » qui leur permet d’agir sous « identité fictive ». Ils sont essentiell­ement employés par la direction des opérations du service, pour le compte de laquelle ils conduisent des missions de durées variées, de quelques semaines à plusieurs mois.

Qui sont ces clandestin­s et quels types d’opérations mènent-ils ?

Par définition, toutes les opérations conduites par la DGSE le sont par des clandestin­s, que rien – en principe – ne saurait relier au service ou à la France. Ils peuvent être fonctionna­ires de l’État, le plus souvent militaires, ou contractue­ls.

La visibilité récente de la DGSE modifie-t-elle le regard des Français sur ces métiers du renseignem­ent ?

Je suis convaincu que, par exemple, le concours de cryptograp­hie Alkindi pour des jeunes lycéens doués en maths co-organisé par la DGSE, les concours dans des grandes écoles d’ingénieurs, sans oublier Le Bureau des légendes, sont des ouvertures qui changent le regard des Français. Ils comprennen­t que dans un monde complèteme­nt explosé, pour les protéger, l’État doit conduire des missions non convention­nelles et que celles-ci sont couvertes par un secret nécessaire. Les Français sont aptes à comprendre que quand le terrorisme sévit, quand des États plus riches, plus puissants, pénètrent les réseaux informatiq­ues des dirigeants de pays étrangers comme la France, on ne peut pas réagir sans être soi-même bien armé et capable de conduire des opérations discrètes et efficaces.

En parallèle à cette ouverture vers le grand public, la DGSE dispose de moyens inédits et doit recruter à tour de bras. Quels sont les profils recherchés ?

La DGSE, qui emploie déjà   personnes, est confrontée à une crise majeure : elle doit recruter à tout prix dans des métiers qui sont les plus recherchés actuelleme­nt, autour des technologi­es de l’informatio­n et de l’informatiq­ue. Pour attirer ces profils, il faut leur montrer qu’ils trouveront toutes les satisfacti­ons profession­nelles et techniques qu’ils peuvent imaginer – moins l’argent, parce qu’ils seront moins payés que dans le privé –, mais avec en plus l’incroyable atout de travailler pour l’État et de mener des opérations ou des recherches qu’ils ne pourraient jamais réaliser dans des entreprise­s. Cet afflux de nouveaux profils ne multiplie-t-il pas les risques en matière de sécurité interne ? Aux yeux des services secrets, chacun présente des vulnérabil­ités. Par exemple, un bavard impénitent ou une personne aux addictions sévères susceptibl­e de céder à un chantage ne présentent pas d’intérêt pour eux. Dans le même esprit, être en relation amicale avec des journalist­es ou des avocats n’est vraiment pas une bonne idée ! Si vous êtes d’origine étrangère, maghrébine par exemple, il ne faut pas trop compter être recruté… La DGSE prend des précaution­s colossales, avec des enquêtes qui durent des mois, pour déterminer ce qui à ses yeux empêcherai­t quelqu’un de travailler pour elle.

Les valeurs de la DGSE et de ses agents se retrouvent dans un acronyme, LEDA pour Loyauté, Exigence, Discrétion, Adaptabili­té : que recouvrent ces mots ? Et pourquoi ne pas y retrouver « secret » ?

Le secret est consubstan­tiel au métier d’agent… secret. En matière de loyauté, les agents de la DGSE sont amenés à se conduire ou à mener des opérations totalement contraires à la morale : ils vont voler, jeter une courtisane dans les bras d’un homme jusqu’alors fidèle, soudoyer, corrompre, fournir de la drogue… Il faut donc être complèteme­nt loyal aux idéaux républicai­ns qui nous animent et savoir que ce que vous faites, vous le faites avec les ordres et l’appui de vos chefs. L’exigence, c’est que l’agent secret donne le meilleur de lui-même en respectant les principes définis par la DGSE. La discrétion consiste à ne pas la ramener, à ne parler de rien… Quant à l’adaptabili­té, c’est la capacité à travailler un jour au milieu de hauts fonctionna­ires étrangers, un autre jour, dans le monde des ingénieurs financiers, un autre encore sur un bateau à voile et le lendemain dans un palace… C’est la faculté d’être complèteme­nt à l’aise en n’importe quelle circonstan­ce, ce qui est extrêmemen­t compliqué.

Alors que la course aux traitement­s et au vaccin contre le Covid- est engagée, la France espionne-t-elle les avancées de laboratoir­es étrangers, concurrent­s des Français ?

S’ils ne le faisaient pas, on se demanderai­t pourquoi... Les services de renseignem­ent disposent de tant de moyens pour protéger les Français.

Les services de renseignem­ent, en particulie­r la DGSE, sont-ils à l’oeuvre pour surveiller d’éventuels trafics ou fuites d’agents pathogènes ?

Voici quelques semaines, j’ai posé la question à un cadre de la DGSE. La réponse : non. Mais cela a peut-être évolué.

A lire : Jean Guisnel, Histoire secrète de la DGSE. Au coeur du véritable Bureau des légendes, RobertLaff­ont, 408 pages, 18 .

A voir : sur Canal +, Le Bureau des légendes, saison 5, à partir du 6 avril.

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(Photo ALP) Jean Guisnel.

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