Monaco-Matin

Fournier : « Pape me guide »

Le directeur du football à Nice, rend un hommage poignant à son père spirituel, décédé du Covid

- VINCENT MENICHINI

Au bout du fil, Julien Fournier s’efforce de retenir ses larmes. Depuis l’annonce du décès de Pape Diouf, mardi soir, le directeur du football de l’OGC Nice est un homme inconsolab­le, et ce malgré les multiples messages de soutien qu’il reçoit de toute la France.

« Cela me touche énormément, confie-t-il, meurtri par la disparitio­n de celui qu’il considérai­t comme son père spirituel. C’est Pape, un grand rassembleu­r, jusqu’au bout. » Bras droit de Diouf à l’OM (20052009) et intime depuis, Fournier rend hommage à son « baobab ». Ce vieux sage à la voix si singulière et au phrasé si choyé. « J’ai ses mots qui résonnent dans ma tête, je ne réalise pas », pleure Fournier.

Comment êtes-vous depuis l’annonce de son décès ?

Cela me… (Il marque une pause). C’est d’une violence. Je me force de répondre aux journalist­es pour honorer sa mémoire. Je lui dois ça. Il faut qu’on en parle le plus longtemps possible. Je suis bouleversé, ça me flingue. Je ne réalise toujours pas. Sa voix, si singulière, résonne dans ma tête toute la journée. C’est raide... Mais je veux raconter ce qu’est Pape.

Le monde du foot lui rend un hommage poignant...

Car Pape est un homme universel. Je reçois tellement de messages, de personnes que je ne connais même pas. Ils ont tous une marque d’affection pour Pape. C’est sincère. Il rassemble de Marseille à Nice, et partout en France. Il n’y a plus de clivage, plus de rivalité. Il a été un immense président de l’OM. Pour moi, il a été… (sanglots). Je suis heureux de parler de lui. Un homme au grand coeur.

En quoi vous a-t-il marqué ?

Je ne lui ai jamais dit, j’aurais dû, peut-être. Il ne le sait pas, donc, mais avec Pape, j’ai fait l’éponge.

Les compétence­s qu’on peut me reconnaîtr­e, je les lui dois. Il est bon dans tellement de domaines. Il avait cette faculté de prendre les bonnes décisions au bon moment. Avec José (Anigo), on rigolait de lui parfois, mais c’était avant tout de l’affection. Car il était notre ‘‘baobab’’, notre repère, alors qu’on pouvait prendre feu… Quand il fait monter les ‘‘minots’’ à Paris, c’est sa décision. Si ça se passe mal, il peut perdre son poste. Mais il était comme ça, droit dans ses bottes, plein de sincérité et d’humanisme.

Il a été l’un des présidents emblématiq­ues de l’OM, non ?

Avec Leclerc et Tapie, il fait partie des trois plus grands présidents du club. Ses successeur­s ne lui sont jamais arrivés à la cheville, c’est encore valable aujourd’hui. Il fallait voir la popularité incroyable qu’il avait quand tu marchais à ses côtés. On ne voyait que lui dans la rue. Les témoignage­s de l’OL et du PSG sont beaucoup plus poignants que ceux de l’OM, qui n’est pas à la hauteur une fois encore. Même dans cette période de merde avec le Covid, Pape arrive encore à rassembler. C’est rare de

‘‘ voir autant de sincérité.

Il est au-dessus de tout. Le témoignage d’Aulas, alors qu’on s’est fait la guerre comme pas possible, notamment sur le transfert de Ben Arfa, ça veut tout dire. Aulas parle d’amitié, c’est exceptionn­el.

Il était comme un père spirituel pour vous ?

Je le taquinais en l’appelant ‘‘papa’’. Pourtant, notre histoire commune démarre avec de la retenue. Car, on m’avait mis dans ses pattes. Il n’a pas eu le choix. Ce n’est pas lui qui m’a donné ma chance au tout début. J’ai vu arriver cet ancien agent, j’avais des doutes... Mais en l’espace de quelques semaines, et de manière très naturelle, on a créé une vraie complicité humaine et profession­nelle. Tout ce qu’on a traversé ensemble à l’OM a été riche en émotions, même notre départ. Pape, c’est un gars bien. Je souhaite que le football français lui rende l’hommage qu’il mérite. Je ne veux pas tomber dans le côté larmoyant. Je veux juste qu’on le fasse vivre encore un peu.

Lui avez-vous demandé des conseils depuis votre arrivée à Nice () ?

Non. Mais j’aurais aimé lui dire qu’il m’accompagne en permanence. Les problémati­ques du football sont régulièrem­ent les mêmes. Je ne l’appelais pas pour avoir des conseils, mais je me rends compte que j’agis avec une forme de mimétisme. Pape me guide. J’ai beaucoup appris à ses côtés, notamment dans la manière de fonctionne­r avec un entraîneur, lequel choisir, le moment idoine pour s’en séparer ou continuer.

Comment était-il avec les joueurs ?

Dans ce milieu, il nous arrive bien souvent d’avoir la tête dans le guidon et de faire preuve d’un manque de lucidité au moment de prendre des décisions. Pape, c’est l’intuition mais aussi l’intelligen­ce incarnées. Il trouvait toujours une solution, se trompait rarement. C’est mon vieux sage africain. On n’avait pas besoin de s’appeler très souvent. Il m’a rempli, m’a donné les armes.

Il ne s’énervait jamais ?

Il était bien meilleur que moi pour ça. J’ai tendance à activer uniquement le levier de la fermeté. Lui, c’était la fermeté mais aussi la complicité. En , quand Franck (Ribéry) fait tout un sketch pour partir à Lyon, il n’avait pas vacillé. Il lui avait dit qu’il n’irait pas à l’OL, peu importe l’offre, et que s’il n’était pas content, il irait jouer avec la réserve. Enfin, s’il fallait ne pas le payer, il ne l’aurait pas payé. Par contre, il lui avait donné sa parole d’homme : « Franck, tu restes une saison, tu es performant et tu choisiras le club de ton choix. »

Un an après, il signait au Bayern. Tout Franck Ribéry que c’était, il était rentré dans le rang. Quand tu vis ce moment en direct, aux côtés d’un dirigeant comme Pape, tu ouvres grand les oreilles, tu regardes et tu apprends.

Il y avait des marques d’affection entre vous ?

Pas du tout, car on n’est pas des démonstrat­ifs tous les deux. Mais à chaque fois qu’il croisait quelqu’un avec qui j’avais un lien, il disait toujours beaucoup de bien de moi. Ça me touchait à chaque fois.

Vous aviez des rituels ?

Il aimait la bouffe autant que moi. Alors, avant chaque match de Coupe d’Europe avec l’OM, on se faisait une belle table ensemble. On discutait beaucoup. Ses discours sur la place des Africains dans la société française étaient une bénédictio­n. Il en parlait avec calme, recul et beaucoup de conviction. Mais il ne faisait jamais de communauta­risme. Sur ce sujet-là, il m’a tant appris. Il n’était jamais là pour faire la leçon, ni dans le combat entre les noirs et les blancs. C’est un sage, un vrai.

C’est une aubaine de l’avoir côtoyé d’aussi près ?

Oui, j’en parlais ce matin (lire hier, ndlr) avec Nathalie, ma compagne (qui a également travaillé avec Pape Diouf à l’OM). On a eu cette chance de le croiser. Je me suis toujours battu contre les idées reçues, ceux qui prétendent que le milieu du football est un monde de merde. Il permet de superbes rencontres. Celle avec Pape a été fondatrice.

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L’OM, entouré de Pape Diouf et José Anigo. (Photo PQR/La Provence) Julien Fournier au temps de

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