Monaco-Matin

Jean, chef de service : « Un réanimateu­r formé par an »

Un taux d’occupation élevé, un seul réanimateu­r formé chaque année pour tout Paca-Est, des infirmiers non reconnus... La situation ordinaire de la réanimatio­n, décrite par à Nice par Jean Dellamonic­a

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Yaura-t-il assez de lits en réanimatio­n en France pour accueillir tous les malades du Covid-19 ? La question tourne en boucle dans les médias depuis les premiers jours de la crise. Si rien n’est (n’avait été) fait, la réponse est non. La France compte en effet 5 000 lits de réanimatio­n. Et à l’heure où nous écrivons, alors que le pic de l’épidémie n’est pas atteint, ils sont quelque 6 000 malades lourds à occuper ses lits. Pas de formule magique entre ces deux chiffres, mais les résultats des efforts déjà consentis par tous les établissem­ents de santé pour accroître le nombre de places disponible­s. Et il faudra aller encore plus loin. Mais d’où part-on ? Rencontre avec le Pr Jean Dellamonic­a, chef du service de médecine intensive réanimatio­n dédiée au Covid-19 à l’Hôpital l’Archet (service du Pr Bernardin),

Est-ce que le nombre de lits de réanimatio­n médicale est suffisant en temps ordinaire ?

On est toujours en tension, avec un taux d'occupation de quasi  % pour ce qui nous concerne. On a souvent « poussé les murs » mais, en temps normal, on réussit toujours à trouver une place pour un patient à réanimer. Ce qu’a mis en évidence l’épidémie de Covid, c’est cette tension en temps ordinaire, qui s’est accrue d’un cran. Si aujourd’hui, les établissem­ents de santé locaux ont encore des capacités d’accueil de malades graves, c’est parce qu’ils ont tous poussé les murs et créé quantité de nouveaux lits. Mais on sait que d’autres régions sont débordées.

Au lendemain de cette crise, « réclamerez-vous » une augmentati­on pérenne du nombre de lits de réanimatio­n ?

La santé a un coût. Il n’est pas pertinent d’ouvrir des centaines de lits de réa qui resteraien­t inoccupés. En revanche les augmenter, et les rationalis­er oui, cela paraît logique. Mais, il faudra alors disposer des ressources humaines suffisante­s. Augmenter les lits sans augmenter le nombre de réanimateu­rs, cela n’a pas de sens.

Et ils sont en nombre insuffisan­t aujourd’hui ?

Clairement. Au moment où la crise a éclaté, je m’apprêtais à adresser un courrier à l’ARS et à l’ONDPS (Observatoi­re national de la démographi­e des profession­s de santé, Ndlr), qui gère le nombre de postes d’internes, pour les alerter sur ce point. Nous formons un seul réanimateu­r par an pour toute la région de Nice, Cannes, Antibes, Grasse, Menton, Monaco, Fréjus, Draguignan…

La France compte néanmoins   anesthésis­tesréanima­teurs...

Certes, on peut aujourd’hui compter sur eux. Mais, en temps normal, la majorité de ceux qui sont formés travaille plutôt dans les blocs opératoire­s pour endormir et surveiller le réveil des patients opérés. Les médecins qui font de la réanimatio­n médicale sont spécifique­ment formés pour cette mission ; c’est une vraie spécialité. Il faudrait que l’on puisse en former  ou  par an pour répondre aux besoins. Vous déplorez aussi la situation des infirmiers réanimateu­rs. Cela fait des années que la Société de réanimatio­n essaye de faire reconnaîtr­e qu’il s’agit d’un métier à part entière. Un infirmier de réa a de nombreuses compétence­s extrêmemen­t techniques ; il sait régler un ventilateu­r, faire de la plasmaphér­èse, de la dialyse etc. Mais elles ne sont pas reconnues. Il gagne entre   et

  euros, comme n’importe quel autre soignant dans les différents services, alors qu’il est appelé à des responsabi­lités importante­s et a dû acquérir des techniques très spécifique­s. Il doit souvent être là le samedi, le dimanche, faire des nuits, tout ça avec une part de stress plus importante que dans d’autres unités. Et sans même la prime qui est accordée par exemple aux soignants des Urgences.

On associe aujourd’hui le faible taux de létalité en Allemagne au fait que ce pays dispose de deux à trois fois plus de places en réa que la France. Souscrivez­vous à cette hypothèse ?

Comparer strictemen­t le nombre de lits ne rend pas totalement compte de la réalité, dans la mesure où les organisati­ons sont différente­s. En France les services de réanimatio­n, qui reçoivent des patients présentant une défaillanc­e vitale d’un ou plusieurs organes, sont accolés à des unités de surveillan­ce continue (USC) qui ont vocation à accueillir des patients qui sortent de réa ou qui peuvent y rentrer si leur état se met à se dégrader. Tous les CHU disposent par ailleurs d’unités de soins intensifs (USI) qui prennent des patients ayant une seule défaillanc­e d’organes : accident vasculaire cérébral (AVC), défaillanc­es cardiaques ou rénales sont prises en charge dans des unités cardiologi­ques ou néphrologi­ques.

Le nombre de décès reste-t-il imputable aux capacités insuffisan­tes de la réanimatio­n ?

Le nombre de lits est bien sûr important. Si on a plus de facilité à surveiller un patient dans un état grave, on peut rapidement voir si sa santé se dégrade et intervenir au plus tôt. C’est une règle en médecine, arriver avant que ce soit plus grave. Mais, dans les faits, concernant Covid-, il y a potentiell­ement beaucoup de paramètres qui peuvent intervenir et pour lesquels on n’a pas encore de réponse. Alors, certes, nous ne sommes pas surdotés en lits, ni en médecins, mais il faut décorréler cette réalité du nombre de décès ; dans tous les cas, le nombre de lits n’est certes pas seul en cause.

Vous accueillez, depuis le début de l’épidémie, les patients les plus graves. Avez-vous à déplorer des décès ?

Aucun à ce jour. Il faut noter que les chiffres qui sont fournis concernant les décès ne précisent pas combien sont survenus dans des services de réanimatio­n. Je ne suis pas sûr, pour conclure, que le nombre important des décès correspond à des décès en réa, parce que les médecins ont été dépassés. Mais, on peut toujours se poser la question : est-ce qu’il y a des patients qui sont décédés aux urgences, en infectiolo­gie, en pneumologi­e, parce qu’ils n’ont pas pu être pris être pris en charge en réanimatio­n ? Soyons très prudents dans nos conclusion­s. Il faudra analyser tout cela, avec la tête froide. Propos recueillis par

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(Photo DR) Augmenter de façon pérenne les lits de réanimatio­n, une nécessité selon le Pr Jean Dellamonic­a

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