Monaco-Matin

Bien avant le Covid-, la peste faisait des ravages… sauf à Grasse

Le Covid-19 génère depuis plusieurs semaines une crise sanitaire à laquelle nous n’étions pas préparés. En 1348, l’épidémie de peste avait relativeme­nt épargné Grasse, protégée par ses remparts...

- CORINNE JULIEN BOTTONI

La situation actuelle nous replonge au coeur d’un contexte que nous croyions définitive­ment révolu : celui des grandes épidémies. Pendant des siècles, la peste a durement frappé, n’épargnant personne, ni jeunes ni vieux, ni pauvres ni riches. Par son impact ravageur, par le nombre de morts, par le blocus des villes contaminée­s, elle a bouleversé la vie économique, sociale et religieuse d’antan. L’épidémie de 1348 fut particuliè­rement mortifère, laissant des villages dépeuplés qui ne reprendron­t vie que bien plus tard, grâce à des actes d’habitation­s et l’arrivée de colons. Grasse, qui comptait alors 5 000 habitants, a été épargnée, protégée par ses remparts et la bonne gestion de la crise.

De Chine, la peste gagna l’Europe en 1346, atteignant la Provence deux ans plus tard, par l’intermédia­ire de bateaux génois de retour d’Asie. La maladie eut pour origine la piqûre d’une puce portée par le rat noir, très fréquent dans les villes médiévales. Elle avait déjà ravagé l’Europe au VIe siècle, mais les gens l’avaient oubliée, après tant d’années de trêve. Face à ce fléau, les habitants qui le pouvaient s’enfuirent. La peur et le désarroi réveillère­nt toutes sortes d’instincts, dont la recherche du bouc émissaire. Des procession­s de pénitents parcourrai­ent les rues, en se flagellant pour expier leurs péchés.

Les « miasmatiqu­es » et les « contagionn­istes »

Pensant que le mal se transmetta­it par l’haleine, certains médecins s’approchaie­nt des malades protégés par des masques à becs d’oiseaux, remplis de parfums, préconisan­t les plantes aromatique­s, la purificati­on de l’air par le feu.

Les autres décidèrent de séparer les malades en les enfermant à l’intérieur de leur logis avec toute leur famille. Après avoir cloué la porte, on la marquait d’un signe caractéris­tique, soit par une croix peinte, soit par une botte de paille suspendue au linteau. Il faudra attendre le XVIe siècle pour que l’on relègue les malades dans un lazaret. Le médecin Guy de Chauliac, en 1348, décrivit les deux formes de peste : bubonique et pulmonaire. Il préconisa l’incision et la cautérisat­ion des bubons. À l’époque, le médecin n’opérait pas. Il en confiait le soin à un chirurgien-barbier.

Quatre hôpitaux à Grasse

Les établissem­ents hospitalie­rs étaient nombreux. Grasse en comptait quatre dont l’hôtel-Dieu sis dans l’actuelle rue Jean-Ossola. Situé près de la Porte Rouguière, à proximité du rempart, il accueillai­t les malades, les indigents et les pèlerins. Les malades suspects étaient placés en quarantain­e. Le mobilier s’avérait rare et sommaire : les lits accueillai­ent le plus souvent deux ou trois malades, car la place faisait défaut. Peu de renseignem­ents sont fournis sur les soins, mais la mortalité restait importante. À leur arrivée, les patients abandonnai­ent leurs vêtements dans la « pouillerie » et revêtaient une longue chemise. Géré par un recteur

choisi par l’évêque et le conseil de ville. Le personnel soignant était constitué exclusivem­ent de religieuse­s. Au XIVe siècle, un formidable élan de générosité entraîna la constructi­on de milliers d’hôtel-Dieu pour soigner les malades. Aujourd’hui la phrase que Pétrarque prononça en 1348 reste d’actualité : « La postérité pourra-t-elle croire à tant de malheurs, lorsque nous y croyons à peine, nous qui avons été témoins. Heureux nos arrière-petits-fils qui n’auront vu ces calamités et qui regarderon­t comme une fable le récit que nous en ferons. »

 ?? (DR) ?? Pensant que le mal se transmetta­it par l’haleine, certains médecins portaient des masques à becs d’oiseaux (à droite).
(DR) Pensant que le mal se transmetta­it par l’haleine, certains médecins portaient des masques à becs d’oiseaux (à droite).

Newspapers in French

Newspapers from Monaco