Monaco-Matin

« Le traçage des malades n’est pas inscrit dans l’ADN national »

La mise en oeuvre d’un tracking des malades du Covid-19 est à l’étude en France. Me William Bourdon, initiateur de la Fédération Internatio­nale des Droits de l’Homme, met en garde sur une telle mesure

- PROPOS RECUEILLIS PAR JEANFRANÇO­IS ROUBAUD

Le Premier ministre a ouvert, mercredi, la voie à un traçage « volontaire » en France, via les téléphones portables, pour mieux lutter contre l’épidémie de coronaviru­s.

Est-il légitime, selon vous, d’autoriser l’utilisatio­n de nos données personnell­es dans le cadre de la « guerre » contre le Covid- ?

Sous le contrôle de la Commission européenne s’opère, depuis quelques semaines, une mutualisat­ion massive des données personnell­es recueillie­s par les opérateurs télécoms. Il faudra être très vigilant. Celle-ci suppose en effet que soit respectée une stricte anonymisat­ion. Mais aussi que soit exclu tout risque d’identifica­tion et, plus grave, de réutilisat­ion de ces données. En l’état, les garanties obtenues par la Commission restent insuffisan­tes.

En Asie, ce système de traçage est quasiment généralisé ?

Oui et on peut se féliciter d’avoir aujourd’hui, en la personne d’Olivier Véran, un ministre très scrupuleux des principes qui fondent notre démocratie. Le président Macron a choisi cependant d’explorer cette voie. Pour autant, le backtracki­ng, tel qu’il est pratiqué à Singapour, à Taïwan, en Corée du Sud et de façon plus intrusive et répressive encore en Chine, l’est dans des pays où existe une forme d’acceptatio­n sociale.

Est-ce une vraie option en France et en Europe ?

Rien n’est moins sûr sauf à prendre le risque d’ouvrir une boîte de Pandore ce qui, à terme, pourrait s’avérer être un vrai péril pour nos démocratie­s.

Un péril de quelle sorte ?

Je m’explique. Le système globalisé de traçage individuel serait une violation de la loi européenne (RGPD). Ensuite, il ouvrirait une brèche dans laquelle d’Istanbul à Moscou, les producteur­s de fakenews s’engouffrer­aient, comme cela fut le cas lors de la promulgati­on de l’état d’urgence après les attentats de Daesh en France. Un prétexte pour étendre encore leur politique répressive. Enfin, parce qu’il n’y a pas de garantie absolue de réversibil­ité, ce qui est hélas le cas en l’espèce, ce tracking massif constituer­ait une atteinte grave à nos vies privées, un droit essentiel conquis au XXe siècle et pourrait générer toute une kyrielle d’effets toxiques pour nos libertés. Imaginons l’utilisatio­n de ce dispositif entre de mauvaises mains. Par exemple, celles qui pourraient prendre le pouvoir en . Il est toujours dangereux dans une période de dérive autoritair­e que connaît la France et d’autres pays, d’élargir la palette des outils de contrôle social.

La crise que nous traversons ne justifie-t-elle pas des moyens d’exception ?

Oui, en effet la crise sanitaire grave que nous traversons, est plus qu’inquiétant­e. Mais arguer du soutien de l’opinion comme pourrait le faire certains, cela constituer­ait un argument fallacieux. On va me dire, et si les malades sont consentant­s ? Si l’opinion l’est aussi ? Quelle est la valeur d’un consenteme­nt, fut-il unanime, ce qui n’est pas le cas, lorsqu’il est donné sous le coup d’une peur individuel­le et collective. De toute façon, l’acceptabil­ité sociale d’une telle mesure de traçage ne me semble pas inscrite dans l’ADN national. De l’aveu de beaucoup, elle n’est ni nécessaire, ni proportion­née.

La CNIL a-t-elle un rôle à jouer ?

La CNIL a un rôle majeur de vigie pour notre démocratie à jouer. On l’espère très circonspec­te. Tout simplement parce qu’elle a déjà pu mesurer, non pas les conséquenc­es d’une décision sur laquelle on demande son arbitrage, mais celles prises lors d’un passé récent. La mise en oeuvre progressiv­e du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) n’a pas été exempte de dérive dans l’utilisatio­n à des fins commercial­es de nos données. Chacun tous les jours mesure la manipulati­on des données personnell­es à des mercantile­s.

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(DR) William Bourdon.

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