Basée en Antarctique, elle témoigne de l’isolement
Chercheuse en écologie au Centre scientifique de Céline Le Bohec dirige une mission sur les manchots au pôle Sud. Plusieurs semaines par an, elle ne voit pas le jour
Le Continent Blanc lui manque cruellement. Encore plus en cette frustrante période de confinement. Chercheuse en écologie au Centre scientifique de Monaco (1), Céline Le Bohec est une habituée de l’Antarctique. Trois à cinq mois par an, la scientifique de 42 ans y étudie – au profit des instituts polaires français et allemand – les populations de manchots. Elle glane de précieuses données sur l’évolution des écosystèmes polaires dans un contexte de réchauffement climatique et de nuisances anthropiques. Coupée du reste du monde, le confinement – « ou plutôt l’isolement » – ne lui est donc pas étranger. « J’ai réalisé des missions en confinement à deux ou trois dans une cabane pendant un mois et demi. On avait la possibilité de sortir, sourit-elle. Mais dans les stations, les conditions météorologiques nous empêchent parfois de sortir pendant des jours ou des semaines. » Dans certaines zones, des hivernants ne voient littéralement pas le jour pendant des mois. Entretien passionnant avec Céline Le Bohec.
Concrètement, c’est quoi le confinement en Antarctique ?
La définition de confinement a une connotation négative. On utilise ce mot lorsque l’on parle d’un prisonnier dans sa cellule, d’un malade dans sa chambre. Il y a alors cette notion d’isolement, d’enfermement de quelqu’un dans un cadre restreint. C’est le cas pour la pandémie. Pour l’Antarctique, il s’agit plus d’un isolement. Ce qu’on vit sur plusieurs mois ou années, c’est de notre plein gré. On est enthousiaste de partir dans cet endroit cristallin, envoûtant, en grande partie inaccessible. On part dans un but scientifique précis, pour une durée connue et dans un vaste espace dont la beauté est à couper le souffle. Il n’y a pas ce sentiment d’être contraint, a contrario du confinement actuel, imposé et à durée indéterminée, et dont les raisons sont stressantes car le virus peut vous toucher ou vos proches. Beaucoup d’entre nous le vivent dans un appartement en ville avec vue sur le mur du voisin.
Existe-t-il des similitudes entre cet isolement choisi et ce confinement forcé ?
En Antarctique, on est isolé du reste du monde, au sens strict, avec un éloignement physique et des moyens de communication réduits. Au coeur du continent et sur la côte, en hiver, on est complètement isolé. Il n’y a plus de liaisons maritimes possibles entre mars et octobre. Il y a de la banquise de partout. Impossible, non plus, qu’un avion atterrisse car il fait trop froid. Sur la base Concordia, on avoisine alors les -°C!
L’isolement est, semble-t-il, particulièrement violent ?
La notion de confinement est moins perceptible dans les îles subantarctiques et sur le pourtour de l’Antarctique. En revanche, dans les stations de recherche comme celle, francoitalienne, de Concordia, ils vivent drastiquement avec une nuit en permanence, des températures très basses, des vents violents. Ils ne sortent pas ou peu. D’ailleurs, des études sont réalisées dans ces stations et financées par l’Agence spatiale européenne. Dans ces stations, les conditions sont similaires à ce que vivent les astronautes et des spécialistes de l’espace travaillent sur les aspects psychologiques de cet isolement. Mais aussi sur les conséquences à moyen/long terme sur l’organisme, en termes de stress, de capacités cognitives et motrices, de système immunitaire et d’autres paramètres physiologiques.
Une préparation mentale est, de fait, indispensable ?
Avant de partir en hivernage pour plus d’un an sur la station de recherche, nous avons des entretiens de plusieurs heures avec psychologues et médecins pour s’assurer de notre état physique et mental. Ils s’assurent qu’on est apte à vivre une telle expérience en nous questionnant sur nos expériences passées en environnement isolé, sur nos relations sociales avec les autres, sur comment on va gérer l’éloignement physique avec nos proches et leur absence.
En , vous aviez passé seize mois de suite en Antarctique, à une époque où réseaux sociaux et technologie étaient moindres…
À cette époque, on avait le droit à des télex et vingt caractères en capitale. Un Twitter avant l’heure ! On ramenait notre message sur une grosse disquette à celui qui envoyait les télécommunications. Zéro intimité. C’était lu par tout le monde [rire]. Aujourd’hui, on a une adresse mail personnelle. On a accès à Internet mais c’est très très lent. Le lien avec les proches s’en voit resserré. Pour ma part, je ne suis pas sûr que cela soit mieux. Quand on part en hivernage, on part pour vivre une expérience hors-norme, échanger avec des gens sur place. Avec cette communication au sein des missions, j’ai le sentiment que celles-ci sont beaucoup plus éclatées. Le soir, lesgensnevontpas systématiquement discuter entre eux mais aller écrire des mails ou faire des Skype.
Comment est gérée la logistique de la nourriture ?
À ce niveau-là, on est béni. Les instituts polaires français et allemand avec qui l’on travaille s’occupent de tout. Le ravitaillement est assuré en été, notamment par les bateaux Astrolab et Marion-Dufresne. L’hiver, on est sur les dents au niveau des denrées fraîches car on aimerait voir une carotte ou une tomate [rire] ! Sur les bases françaises, on est bien loti, la nourriture est variée. On a un cuisinier et un pâtissierboulanger, donc des gâteaux et baguettes fraîches tous les jours.
Comment tue-t-on le temps ?
Pour nous, écologues et biologistes ornithologues, notre passion est notre métier. On observe tout le temps la nature, les oiseaux, les mammifères marins. Pour les autres corps de métier, l’extérieur est tellement grandiose qu’ils restent des heures à observer. On ne tue pas le temps, à vrai dire. On a beaucoup plus d’échanges. Quand on part en Antarctique, on a l’impression qu’on va être seul mais, en réalité, on est toujours les uns sur les autres. Cela peut parfois être oppressant.
Justement, comment éviter les tensions au sein du groupe ?
La principale difficulté, là-bas, est de gérer le poids des interactions sociales en milieu restreint. L’une des hivernantes de mon programme réalise justement une thèse en anthropologie et ethnographie à ce sujet. Les moments pour soi, cela va être dans sa chambre individuelle. On essaye de se recréer un petit cocon. Mais, on se retrouve très vite oppressée dans ces x m. Pour éviter les tensions, la meilleure arme reste le dialogue et la communication. Si quelque chose ne va pas, on l’exprime et on ne reste pas sur ce qui gangrène l’esprit et le groupe.
En hiver, sans possibilité d’être rapatrié pour une hospitalisation, quelles sont les procédures ?
On a des salles d’opération et un médecin dans chaque station. Au début de la mission, celui-ci crée une équipe qui l’assistera en cas de problèmes ou d’opérations. Ils vont être formés mais ce sont des hivernants donc, pour la plupart, pas médecins du tout. La salle d’opération peut être connectée en visioconférence à des hôpitaux, dont les chirurgiens assistent, si besoin, le médecin de la base. Grâce à la technologie, on a moyen de sauver des vies. Il y a déjà eu des décès en Antarctique mais jamais sur la table d’opération.
L’Antarctique est-il touché par le coronavirus ?
J’ai des nouvelles régulières de l’équipe de mon programme de l’Institut polaire français. Pour l’heure, l’Antarctique est une oasis épargnée par le Covid-. C’est l’hiver donc il n’y a plus aucune liaison possible jusqu’à la prochaine campagne d’octobre. Le MarionDufresne a quitté La Réunion et va rejoindre les îles subantarctiques. Avant de prendre le large, l’équipage a été mis en quatorzaine. Tant que ce navire n’a pas accosté, il n’y a aucun risque. Si la quatorzaine n’a pas fonctionné, cela peut aller vite…
Les stations de recherche sont depuis toujours attentives aux épidémies. Une simple grippe, peut avoir des conséquences… Cela a été démontré par des études scientifiques : quand on est en hivernage et coupé du reste du monde, notre système immunitaire est moins performant. Si une personne arrive avec une grippe ou une angine, cela va se répandre sur toute la base. Vers octobre en Terre Adélie, un virus a tourné sur toute la base pendant un mois avec des gens au ralenti. Les symptômes ressemblaient au Covid-. Difficile de savoir si c’était ça…
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Mêmes conditions que les astronautes”
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Une oasis épargnée par le Covid-”
Quels conseils pour les milliards de personnes confinées sur Terre ?
Garder une vie sociale active et quotidienne grâce à la technologie. Communiquer sur l’anxiété est fondamental pour évacuer le stress que provoque le confinement. Prendre du temps pour soi et ses proches. Ce n’est pas toujours simple. Le problème du télétravail, c’est qu’il n’y a pas de coupure entre la maison et le travail, du fait que la distance physique n’existe plus. Il faut s’imposer une routine, prendre ses week-ends pour couper, faire des activités physiques car c’est bon pour le corps, d’autant plus vrai quand on est sédentaire, bouquiner, jouer, méditer. En somme, se recentrer sur soi. Il faut cuisiner, aussi. Dans les stations de recherche, on remarque que l’alimentation et le plaisir des repas sont primordiaux pour le moral. (1) Elle fait partie du département de Biologie polaire et dépend aussi du CNRS de Strasbourg (Bas-Rhin).