Entre deux mondes
Le confinement est propice à la réflexion. Enfermés avec leur ordinateur, nombre de nos compatriotes se sont trouvé une activité très stimulante – un genre de remue-méninges – consistant à imaginer le monde d’après.
N’en déplaise à Blaise Pascal ( « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre »), c’est le propre de l’homme que d’habiter dans le futur.
Tapez « le monde d’après » sur Google. On vous proposera près de…
occurrences. Chacun s’invente un monde à sa convenance. Il sera rouge ou vert, frugal ou prospère, croissant ou décroissant, patriotique, européen, mondialisé…
Au risque de décevoir, il nous semble que ce sont là châteaux en Espagne, et que selon toute probabilité, le monde d’après, pour le pire et le meilleur, ressemblera beaucoup… à celui d’avant. Entendons-nous. Des leçons seront tirées. Des erreurs corrigées. C’est bien le moins. En France ? On peut sans grand risque prédire un effort financier accru en faveur de la santé, avec des priorités
nouvelles (lits de réanimation, respirateurs, matériels de protection, recherche en épidémiologie et infectiologie, domaines négligés depuis des années, quand on voulait croire que le fléau des épidémies appartenait au passé). Le rapatriement de la fabrication de médicaments, vaccins, masques, afin de recouvrer une souveraineté sanitaire imprudemment délaissée au profit de pays à bas coût de main-d’oeuvre. Sur le plan humain, on peut penser, et surtout espérer, que l’après-crise sera le temps de rendre justice – pas seulement par des mots ou des bravos – à tous les premiers de tranchée dont la crise a rappelé le rôle vital : infirmiers, aides-soignants, personnels des Ephad, livreurs, etc. Tous les invisibles, les mal payés, les peu considérés, grâce à qui le pays a tenu. Mais ni le mai, ni à la fin de l’épidémie nous n’allons changer d’ère. L’épidémie de Covid- n’est pas la fin du monde. Pas même la fin de notre monde. C’est une crise sanitaire comme l’humanité en a déjà tant connu, et de beaucoup plus meurtrières. Tout récemment encore : grippe asiatique de , grippe de Hong Kong de .
Ce qui est nouveau, c’est que la plupart des nations, sans presque se concerter, ont choisi la vie et décidé, chose inouïe,
de mettre leur économie à l’arrêt. Mais après ? Ce n’est pas parce qu’ils ont disparu des écrans radar que les maux du temps ont cessé d’exister. Le déséquilibre Nord-Sud qui jette des centaines de milliers de déshérités sur les routes de l’exil ; le hiatus entre la menace climatique et l’impatience de milliards de Terriens à jouir des bienfaits de la croissance ; le péril islamiste ; les insatiables ambitions de la Chine ; les déconvenues de la construction européenne… Enfermés, comme l’économie, dans le congélateur du confinement, les problèmes du monde – pour ne citer que ceux-là – en ressortiront intacts. Et pour certains, aggravés. Une récession économique inédite, des déficits budgétaires abyssaux, des besoins de financement qui explosent : ce sont les conditions idéales pour voir prospérer la démagogie et s’envenimer conflits sociaux et rivalités entre États.
Ou au contraire, restons optimiste, voir émerger et croître l’esprit de solidarité et de coopération.
Des vertus qu’on a souvent vu triompher au sortir des grandes crises. Le monde d’après ne sera pas un autre monde. Ce sera le monde d’avant, avec de nouveaux défis en perspective. Il aura plus besoin de lucidité que de songes creux.
« Selon toute probabilité le monde d’après, pour le pire et le meilleur, ressemblera beaucoup... à celui d’avant. »