Étudiante monégasque, elle vit confinée seule à Moscou
Étudiante à la prestigieuse université MGIMO, Ludmila vit un confinement serein mais pas contraint depuis un mois. Elle peine à se projeter mais garde le sourire
En ce mois d’avril 2020, les jours se suivent et ne se ressemblent pas à Moscou. Un jour, la neige crisse sous les semelles comme des lames de plancher ; le lendemain, le soleil perce à travers le plafond blanc pour adoucir des berges de la Moskova balayées par un vent glacial. Un jour, Vladimir Poutine se fend d’un discours très sobre sans ordonner de confinement général ; le suivant, il invite chaque gouverneur de province et maire à prendre leurs propres mesures face au Covid-19. Pour finalement reconnaître des «pénuries » d’équipements de protection pour le personnel médical alors que le monde, sevré d’images officielles, découvre sur les réseaux sociaux d’impressionnantes files d’ambulances aux portes des hôpitaux moscovites.
Trois mois après la fermeture de ses frontières avec la Chine, berceau d’un mal indicible, la Russie semblait ainsi particulièrement épargnée par la pandémie de coronavirus jusqu’à ce que son président concède, ce lundi, que la situation n’évoluait pas « dans la meilleure direction » et que le pic de l’épidémie est à venir. Quant aux chiffres, à l’instar de l’opaque comptabilité chinoise, qu’en penser ? Hier encore, le plus vaste pays du monde et ses quelques 145 millions d’âmes revendiquait moins de 20 000 contaminations pour 150 décès. Miracle soviétique ou camouflage étatique ? L’avenir le dira. Ou pas… En attendant, à quoi ressemble la vie dans la capitale ? Pour le savoir, nous avons pris le pouls de locaux, à commencer par Ludmila Diato, seule ressortissante monégasque étudiante à Moscou actuellement.
« La fréquentation des rues a largement diminué »
Au bout du fil, notre “oeil de Moscou” s’impose un confinement dans son appartement de banlieue depuis presque un mois. Au pied de sa tour, les mouvements se font plus rares. Et la cour de récréation de l’école mitoyenne ne résonne plus aux cris des bambins. Pour autant, la vie continue.
« Il n’y a pas de couvre-feu, ni d’attestation à remplir pour sortir. Des amis m’ont dit qu’il y avait des contrôles de police la nuit. La fréquentation des rues a largement diminué et on n’a pas connu de pénurie ou de panique. Mais les gens ne prennent pas de précautions particulières. Ils n’ont ni masques, ni gants », décrit celle qui a décroché son Bac ES au lycée Albert1er, avant de poursuivre. « Les médias en parlent, il y a des affichages dans les transports en commun et dans quelques commerces sur le lavage des mains. Le gouvernement ne semble pas prendre le danger à la légère, comme la plupart des Russes, mais leur comportement correspond à leur mentalité. Ils sont assez méfiants. » Au final, c’est l’Europe qui paraît autoritaire derrière l’Oural.
« C’est beaucoup moins sévère qu’à Monaco »
« C’est beaucoup moins sévère ici qu’à Monaco. Il y a dix jours, le maire de Moscou [Sergueï Sobianine, ndlr] a juste conseillé le confinement pour le bien de chacun. Ce n’est qu’une précaution mais la plupart des étrangers et Russes la perçoivent comme une règle. Même si une bonne partie de la population, notamment les grands-parents, continue à penser que c’est une simple grippe et qu’on ne meurt plus de la grippe en Russie. » Étudiante au prestigieux Institut des relations internationales MGIMO, le « Harvard russe » tel que le surnommait Henry Kissinger, Ludmila a basculé en télé-enseignement sans savoir comment elle bouclera son année préparatoire à un cursus diplomatique couplé d’une spécialisation dans les énergies.
Car à une vingtaine de kilomètres de la Place Rouge, les bâtiments gris du MGIMO, longtemps viviers des cerveaux du KGB et aujourd’hui reconnus comme une pépinière de futurs décideurs internationaux, ont fermé leurs portes le 21 mars.
Comme toutes les écoles de Moscou qui devaient initialement rouvrir… le 12 avril.
« Je n’arrive pas à me projeter aux examens »
« Notre vie est en pause. Il y a des bruits qui disent que l’école va rouvrir au maximum à la fin du mois mais on ne sait pas. Je n’arrive pas à me projeter jusqu’aux examens de juin et encore moins à mes vacances d’été à Monaco », reconnaît la jeune femme de 19 ans, dont les journées s’articulent autour de la lecture, du sport, de documentaires comme Secrets d’Histoire. « Il faut faire de ce confinement, un confinement utile. Ne pas se dire à la fin : “Mince, j’aurais pu faire ça”. » La crise sanitaire actuelle s’invite également au menu de ses cours, notamment par des exercices de projections géopolitiques. Par exemple : “Y aura-t-il un avant et un après en Europe ?”. « On a la chance d’être en petit comité, environ dix par classe, et on avance plus vite sur le programme », estime celle qui entend bien « servir son pays » plus tard. Principauté où sa maman (lire cidessous) est agent commercial et le papa, cadre à la SBM. L’école par webcam, outre l’économie de trajet, c’est aussi une manière insolite de (re)découvrir ses camarades. « On rentre tous dans notre intimité, on n’est pas forcément apprêtés et certains sont en pyjama », sourit Ludmila qui vit bien son confinement mais fustige le sort de certains. « La fermeture du campus a été annoncée à peine une semaine avant et beaucoup d’étudiants étrangers ont été mis dehors sans solution de repli. »