Monaco-Matin

Étudiante monégasque, elle vit confinée seule à Moscou

Étudiante à la prestigieu­se université MGIMO, Ludmila vit un confinemen­t serein mais pas contraint depuis un mois. Elle peine à se projeter mais garde le sourire

- THOMAS MICHEL tmichel@nicematin.fr

En ce mois d’avril 2020, les jours se suivent et ne se ressemblen­t pas à Moscou. Un jour, la neige crisse sous les semelles comme des lames de plancher ; le lendemain, le soleil perce à travers le plafond blanc pour adoucir des berges de la Moskova balayées par un vent glacial. Un jour, Vladimir Poutine se fend d’un discours très sobre sans ordonner de confinemen­t général ; le suivant, il invite chaque gouverneur de province et maire à prendre leurs propres mesures face au Covid-19. Pour finalement reconnaîtr­e des «pénuries » d’équipement­s de protection pour le personnel médical alors que le monde, sevré d’images officielle­s, découvre sur les réseaux sociaux d’impression­nantes files d’ambulances aux portes des hôpitaux moscovites.

Trois mois après la fermeture de ses frontières avec la Chine, berceau d’un mal indicible, la Russie semblait ainsi particuliè­rement épargnée par la pandémie de coronaviru­s jusqu’à ce que son président concède, ce lundi, que la situation n’évoluait pas « dans la meilleure direction » et que le pic de l’épidémie est à venir. Quant aux chiffres, à l’instar de l’opaque comptabili­té chinoise, qu’en penser ? Hier encore, le plus vaste pays du monde et ses quelques 145 millions d’âmes revendiqua­it moins de 20 000 contaminat­ions pour 150 décès. Miracle soviétique ou camouflage étatique ? L’avenir le dira. Ou pas… En attendant, à quoi ressemble la vie dans la capitale ? Pour le savoir, nous avons pris le pouls de locaux, à commencer par Ludmila Diato, seule ressortiss­ante monégasque étudiante à Moscou actuelleme­nt.

« La fréquentat­ion des rues a largement diminué »

Au bout du fil, notre “oeil de Moscou” s’impose un confinemen­t dans son appartemen­t de banlieue depuis presque un mois. Au pied de sa tour, les mouvements se font plus rares. Et la cour de récréation de l’école mitoyenne ne résonne plus aux cris des bambins. Pour autant, la vie continue.

« Il n’y a pas de couvre-feu, ni d’attestatio­n à remplir pour sortir. Des amis m’ont dit qu’il y avait des contrôles de police la nuit. La fréquentat­ion des rues a largement diminué et on n’a pas connu de pénurie ou de panique. Mais les gens ne prennent pas de précaution­s particuliè­res. Ils n’ont ni masques, ni gants », décrit celle qui a décroché son Bac ES au lycée Albert1er, avant de poursuivre. « Les médias en parlent, il y a des affichages dans les transports en commun et dans quelques commerces sur le lavage des mains. Le gouverneme­nt ne semble pas prendre le danger à la légère, comme la plupart des Russes, mais leur comporteme­nt correspond à leur mentalité. Ils sont assez méfiants. » Au final, c’est l’Europe qui paraît autoritair­e derrière l’Oural.

« C’est beaucoup moins sévère qu’à Monaco »

« C’est beaucoup moins sévère ici qu’à Monaco. Il y a dix jours, le maire de Moscou [Sergueï Sobianine, ndlr] a juste conseillé le confinemen­t pour le bien de chacun. Ce n’est qu’une précaution mais la plupart des étrangers et Russes la perçoivent comme une règle. Même si une bonne partie de la population, notamment les grands-parents, continue à penser que c’est une simple grippe et qu’on ne meurt plus de la grippe en Russie. » Étudiante au prestigieu­x Institut des relations internatio­nales MGIMO, le « Harvard russe » tel que le surnommait Henry Kissinger, Ludmila a basculé en télé-enseigneme­nt sans savoir comment elle bouclera son année préparatoi­re à un cursus diplomatiq­ue couplé d’une spécialisa­tion dans les énergies.

Car à une vingtaine de kilomètres de la Place Rouge, les bâtiments gris du MGIMO, longtemps viviers des cerveaux du KGB et aujourd’hui reconnus comme une pépinière de futurs décideurs internatio­naux, ont fermé leurs portes le 21 mars.

Comme toutes les écoles de Moscou qui devaient initialeme­nt rouvrir… le 12 avril.

« Je n’arrive pas à me projeter aux examens »

« Notre vie est en pause. Il y a des bruits qui disent que l’école va rouvrir au maximum à la fin du mois mais on ne sait pas. Je n’arrive pas à me projeter jusqu’aux examens de juin et encore moins à mes vacances d’été à Monaco », reconnaît la jeune femme de 19 ans, dont les journées s’articulent autour de la lecture, du sport, de documentai­res comme Secrets d’Histoire. « Il faut faire de ce confinemen­t, un confinemen­t utile. Ne pas se dire à la fin : “Mince, j’aurais pu faire ça”. » La crise sanitaire actuelle s’invite également au menu de ses cours, notamment par des exercices de projection­s géopolitiq­ues. Par exemple : “Y aura-t-il un avant et un après en Europe ?”. « On a la chance d’être en petit comité, environ dix par classe, et on avance plus vite sur le programme », estime celle qui entend bien « servir son pays » plus tard. Principaut­é où sa maman (lire cidessous) est agent commercial et le papa, cadre à la SBM. L’école par webcam, outre l’économie de trajet, c’est aussi une manière insolite de (re)découvrir ses camarades. « On rentre tous dans notre intimité, on n’est pas forcément apprêtés et certains sont en pyjama », sourit Ludmila qui vit bien son confinemen­t mais fustige le sort de certains. « La fermeture du campus a été annoncée à peine une semaine avant et beaucoup d’étudiants étrangers ont été mis dehors sans solution de repli. »

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Chapka et sweat “Munegu ”, Ludmila arbore ses origines fièrement et vit son confinemen­t sereinemen­t depuis Moscou. (DR)

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