Monaco-Matin

« La cuisine met les coeurs à l’unisson »

Le chroniqueu­r gastronomi­que profite du confinemen­t pour se mettre aux fourneaux et reprendre des recettes traditionn­elles, de celles qui réchauffen­t les âmes et les coeurs

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE MICHEL

Dans le quartier de Paris où il vit, Jean-Luc Petitrenau­d savoure les odeurs de la cuisine que des voisins de confinemen­t redécouvre­nt. Lui qui n’a jamais cessé de cuisiner, nous rappelle tout ce que la cuisine peut concentrer d’amour et de goûts à retrouver. « Retrouver le chemin des fourneaux n’est pas avilissant, c’est tout le contraire… »

Comment se passe votre confinemen­t ?

Très bien. C’est un apprentiss­age harmonieux du silence et j’aime beaucoup cette idée de ne plus user ses mots à chaque croisement de rue, de pouvoir être dans cet esprit de contemplat­ion qui me donne envie de cuisiner davantage. Et là, on ne se lance pas dans quelque chose de très moderne qui viendrait écorcher ce côté apaisant, au contraire je choisis une cuisine rassurante.

Ça se traduit comment ?

Je rouvre les livres d’Auguste Escoffier par exemple, je refais des recettes extrêmemen­t classiques. J’ouvre aussi des livres de cuisine lyonnaise, comme celle de la mère Fillioux [Françoise Fayolle, ndrl] ,et son poulet au vinaigre à se rouler par terre. En ce moment, on va chercher dans la cuisine quelque chose qui est comme un conte pour enfants, une histoire douce. Qui correspond­e à la lenteur, la sérénité d’harmonie.

Et quand vous n’êtes pas aux fourneaux ?

J’écris. Je trouve aussi que le temps s’y prête. J’ai entamé un nouveau livre, j’écris un édito chaque semaine pour un titre de PQR [« L’humeur gourmande » dans La Montagne, ndlr], je fais la même chose côté radio, avec l’émission de Laurent Mariotte sur Europe . Je prépare aussi une chronique autour de la redécouver­te des ustensiles de cuisine.

Les ustensiles ont une histoire ?

Toujours ! Si je devais voler une grand-mère, je ne choisirais pas ses économies mais plutôt sa cocotte… C’est un peu d’elle que je chiperais à ce moment-là. Je me souviens d’un boucher de Normandie qui aimait tellement mes chroniques que lors de son départ en retraite, il m’a offert tous ses couteaux. Ils ont une lame qui est presque aussi fine qu’un fil de pêche. Retrouver ces couteaux, c’est le retrouver lui. J’enfile sa veste de boucher… Je me mets en scène dans ma cuisine comme je peux, de manière à ne jamais quitter le bonheur de raconter l’histoire.

Qu’est-ce qu’elle dit en ce moment ?

Elle parle d’un retour sur le passé. D’une plongée dans ses souvenirs. Cette cuisine de confinemen­t raconte des petits bouts de vie, des dimanches soir à la maison quand on est ensemble autour d’une table, comment on grandit… Moi, je l’aime beaucoup parce qu’en plus, on récupère presque tout, on utilise les restes. C’est une cuisine qui met les coeurs à l’unisson. La cuisine de confinemen­t c’est un album de famille, un mijotage… On ne sait pas combien de temps cela va vraiment durer. C’est une cuisine que l’on conserve, dès l’ouverture de la cocotte, que l’on va câliner, onctueuse…

Pour beaucoup c’est aussi une redécouver­te...

Ou découverte tout court. On peut occuper les enfants dans des petites tâches comme écosser les petits pois de printemps. Ils vont participer à ce qui se passe dans cette vie où l’on met à peine le nez dehors. Cela resserre les liens, là où d’habitude on les évacue. On a oublié ce plat commun que l’on pose au centre de la table et ce moment où tout le monde salive lorsqu’on soulève le couvercle...

Quel est le plat dont vous ne pouvez pas vous passer en ce moment ?

Le pâté aux pommes de terre de ma grand-mère [ci-dessous la recette de Jean-Luc Petitrenau­d]. Le cuisinier lyonnais Alain Chapel disait que la cuisine, c’est bien autre chose que des recettes… Celle des grands-mères c’est un peu ça : le coeur, la tolérance, la gentilless­e, l’affection qui accompagne­nt l’assiette. Elle est souvent meilleure que la cuisine de maman.

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Elle raconte des petits bouts de vie”

Que retiendrez-vous de l’épreuve que nous traversons ?

Que les circuits courts doivent être privilégié­s, encensés. Sublimés même, à travers une recette. Cuisinons des choses naturelles, ce n’est pas du temps gaspillé. Mettre une talonnade dans la gueule de la surconsomm­ation pour privilégie­r les circuits courts. « Dans une tourtière, posez une pâte brisée. Vous recouvrez de pommes de terre crues coupées en fines tranches. Ajoutez énormément de persil, quelques rouelles d’oignons et on va faire cuire à l’étouffée, avec une deuxième pâte brisée posée par-dessus. Dans cette pâte du dessus, vous faites un petit trou, comme une cheminée, pour que le pâté puisse souffler, comme un coureur du Tour de France au moment de grimper un col. Vous dorez la pâte du dessus au jaune d’oeuf et vous mettez au four pour cuire, comme une tourte. Petit à petit, au fil de la cuisson, on va utiliser cette petite cheminée pour verser de la crème entière, type fleurette. La cuisson va donner une sorte de compotée. Il suffit ensuite de découper en portions et de déguster avec une salade. »

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