Dans le ventre de Monaco, la mémoire intellectuelle
A Monaco comme en France, on garde une trace de tout ce qui a été édité dans le pays. Une mémoire qui prend beaucoup de place, et qui dort dans les sous-sols de l’Hélios. Reportage
Il faut bien avouer que lorsqu’Élodie Marquet, en charge du dépôt légal, évoque l’existence de son service lors de la présentation du manga monégasque Blitz, en février dernier, notre curiosité est piquée au vif. Il y aurait donc quelque part dans Monaco une caverne dans laquelle dort le trésor intellectuel du pays. De là à envisager une grotte gardée par un dragon où on ne pénétrerait qu’après avoir répondu à une énigme sibylline présentée par un troll, il n’y avait qu’un pas. Et il faut bien avouer qu’on n’était pas loin de le franchir, ce pas, quand on a cherché l’entrée du Fonds patrimonial (*), situé à l’Hélios. Entre les palissades de chantier, on a fini par trouver.
Parfum de vieux livres
Pas de dragon, de troll ou d’énigme. Mais des bureaux modernes dans lesquels travaillent Élodie Marquet, responsable du dépôt légal, et son équipe. Dans son bureau, des cartons de vieux bouquins qui sentent bon la poussière, et la vieille bibliothèque. Preuve qu’on n’est pas loin du trésor.
Ici, on conserve tout ce qui a été édité à Monaco. « Il y a des romans policiers Fleuve Noir, des livres d’art, des affiches. Dans les années cinquante-soixante il y a eu de très belles impressions d’affiches réalisées par de grands illustrateurs », énumère Élodie Marquet.
Si on garde tout ça, ce n’est pas par hasard : « La loi vise la mission de tout État de garder son patrimoine intellectuel à travers ce qui est édité, explique François Gamerdinger, directeur des Affaires culturelles. C’est l’État qui est garant de cette mémoire. En Principauté, l’État a missionné la médiathèque à travers la mairie pour accomplir cette tâche. »
La première loi datait de 1925. C’était alors le ministère d’État qui s’en chargeait. « Il devait transmettre les ouvrages à la mairie, mais il ne le faisait pas toujours. C’était entreposé au Ministère d’État et, au gré des déménagements, des pièces se sont perdues. Depuis la nouvelle loi de 2006, la médiathèque est désignée comme destinataire premier. »
« Certains vendeurs exagèrent les prix »
Alors, chaque année, grâce à un budget de l’État, Élodie Marquet, et Béatrice Novaretti, directrice de la médiathèque, reconstituent ce qui manque.
« Certaines pièces sont identifiées comme manquantes, mais on ne connaît pas tout. Parfois il y a des libraires qui nous contactent pour nous dire qu’ils ont retrouvé des ouvrages anciens et s’assurer qu’on les a », détaille Béatrice Novaretti. Pour le reste, Elodie Marquet fouille son réseau, à la recherche des pièces rares pour compléter le puzzle de la mémoire du pays. Mais pas dans n’importe quelles conditions : « Certains vendeurs exagèrent les prix. Ils savent que telle ou telle pièce nous manque, et ils savent que c’est important pour nous. Mais on ne cède pas à n’importe quel prix. Dans ces cas-là, on patiente. »
Il n’y a pas que les livres qui sont concernés. « Nous gardons également toutes les petites publications, comme les programmes culturels », rappelle Élodie Marquet. Or, ces pièces-là, ça ne court pas vraiment les brocantes.
« Il faut nous appeler, nous, on récupère »
« Lorsque les gens font du rangement chez eux, il ne faut pas qu’ils jettent ces vieux documents. Il faut nous appeler. Nous, on récupère. » Une fois récupérés, direction l’antre du trésor. Une cave gigantesque, ou l’hygrométrie et la température sont stabilisées, et où 14 000 livres attendent sagement qu’on vienne les consulter.
« Si on les garde, c’est pour la mémoire, mais c’est aussi pour que le public puisse les consulter », précise Élodie Marquet. Entre les éditions richement illustrées Arts et Couleurs, les policiers Fleuve Noir, et les Marcel Pagnol illustrés reliés cuir des éditions Pastorelly ,on trouve les ouvrages pratiques de RMC éditions, comme Belle naturellement.
Des trésors abrités des aléas extérieurs, pour la mémoire de tous.