De talents en série
La data, soit les données physiques de la performance d'un joueur, réduit la marge d'erreur dans le jugement avec une meilleure appréhension des qualités athlétiques. Mais rien ne vaut le déplacement pour se donner un maximum de chances de tomber sur la perle rare.
Youcef Atal, le coup de coeur
Serge Recordier était en Belgique pour superviser un attaquant. Mais c'est le jeune latéral droit de Courtrai qui va lui taper dans l'oeil. «Ça m'est arrivé quelquefois. J'avais eu le même ressenti lorsque j'ai vu Ngolo Kanté disputer son premier match de championnat à Caen. J'avais d'ailleurs écrit dans mon rapport qu'il serait international. Ricardo Pereira, Courtois, Varane, dont j'ai vu le premier match avec Lens contre Montpellier, font aussi partie de ces coups de coeur ». Qui restent parfois inassouvis. Et pas seulement pour des raisons économiques. Car là où les dirigeants niçois se démarquent, c'est dans leur capacité à tenter les paris que d'autres n'osent pas effectuer. Youcef Atal serait peut-être encore actuellement à Courtrai si Jean-Pierre Rivère et Julien Fournier ne s'étaient pas fiés bec et ongles à leur recruteur. Hatem Ben Arfa et Mario Balotelli n'auraient, eux, probablement jamais autant brillé en Ligue 1 si le binôme n'avait pas suivi son instinct.
Ben Arfa-Balotelli, prises de risque contrôlées
« Il fallait forcément que ces joueurs soient en situation d'échec pour que Nice puisse les attirer, » observe un agent. Mais ce n'est pas pour autant que le club n'a pas mûri sa réflexion avant de se lancer. Que ce soit Hatem Ben Arfa, Mario Balotelli, Younès Belhanda ou Wesley Sneijder, ils ont tous été également soumis à la validation de la cellule recrutement. « On bouffe plein de matchs pour aiguiser notre vision du profil du joueur, assure Recordier. Le bon contexte, la liberté donnée sur le terrain, la ville, le public... Tout ça, ça fait le reste. Plea a travaillé pour Balotelli comme Benzema travaillait pour Ronaldo. A Brescia, il n'a pas cet environnement favorable et se retrouve de nouveau en situation d'échec. A Nice, les joueurs se sentent bien au quotidien. »
Julien Fournier, intransigeant en affaires
Mais arrive forcément un moment où ils doivent partir. Et comme lorsqu'il s'agit de dénicher les meilleurs prix à l'achat, Julien Fournier s'avère être un redoutable négociant pour faire monter les enchères d'une vente. Dalbert n'avait pas vraiment la cote avec Lucien Favre, à cause notamment de sa mauvaise gestion de la profondeur. L'OGC Nice pensait quand même avoir réalisé la bonne affaire avec ce contre-attaquant puissant, perfectible tactiquement, mais récupéré pour moins de deux millions d'euros en 2016. Quand l'Inter Milan débarque l'été suivant avec une enveloppe de dix millions d'euros, l'actuel directeur du football INEOS lui oppose une fin de non-recevoir. Fournier ne déroge pas à ses principes, un Aiglon ne dispose pas de bon de sortie avant au moins deux saisons. Mais l'Inter insiste et le défenseur brésilien engage un bras de fer. Le dirigeant niçois ne cédera qu'après avoir obtenu le double de l'offre initiale, plus des bonus. « Bravo, tu as vendu le meilleur arrière gauche de Ligue 1 » l'aurait alors félicité Lucien Favre, admiratif de la culbute financière enregistrée. Les dirigeants lombards, eux, ne gardent pas un bon souvenir de cette histoire.
« Julien est de l'école de Pape Diouf, et le dossier Dalbert est un moment clé pour l'OGC Nice, décrypte Franklin Mala. Nous avons été victimes du succès de cette négo lorsque Barcelone est venu pour Mika (Seri). Julien a voulu inscrire son club comme Aulas l'a fait avec Lyon : quand vous venez chercher un joueur à Nice, il faut le payer. Et en fait, il est bon là-dessus. Les plus values sont énormes. »
Plus fort encore avec INEOS ?
Un paramètre économique qui n'est pas passé inaperçu dans les négociations de rachat du club par INEOS. Nice sait bien vendre, la fortune britannique pourrait l'aider à investir davantage. Des dossiers comme ceux de Hakim Ziyech (transféré de Heerenveen à Twente pour 3,5 millions en 2014), Ngolo Kante (Caen vers Leicester pour 9 M en 2015), Leon Bailey (Genk vers Leverkusen pour 13,5 M en 2017), ou encore Antonio Sanabria (prêté par le Betis au Genoa avec une option d'achat à 20 M en janvier 2019) avaient été manqués faute de moyens par le passé.
« Je pense vraiment que c'est la meilleure cellule en France et que Nice peut devenir une place forte, abonde le conseiller de Mika Seri. Le portefeuille a changé, mais il faut qu'ils gardent la même politique, qu'ils cultivent ce savoirfaire. Beaucoup d'agents sont en admiration devant la cellule de Nice, s'embourgeoiser est le danger à éviter ». La rançon de la gloire forme un autre écueil. Quand un recruteur niçois se déplace, il doit s'efforcer de mener son enquête dans la plus grande discrétion. « “T'es venu pour qui ?” C'est la seule chose qui préoccupe les gens quand ils nous voient dans un stade », raconte Serge Recordier.
Jean-Michel Aulas n'avait pas manqué de remercier l'OGC Nice lorsqu'il récupérait Memphis Depay (ex Manchester United) en janvier 2017 grâce à la médiatisation du travail rouge et noir sur le dossier. Un mercato d'hiver sur lequel Luiz Gustavo (ex Wolfsburg) aussi était pressenti pour aider le champion d'automne à garder la cadence. Marseille en avait profité six mois après.
Le tumulte du rachat n'a pas permis à INEOS de donner la pleine mesure de son projet lors du premier mercato estival. En janvier dernier, les signatures d'Alexis Trouillet (Rennes) et Dan Ndoye (Lausanne), deux gamins nés en 2000, ont néanmoins montré que le Gym ne voulait plus perdre de temps pour parier sur l'avenir. La nomination de Morgan Boullier à la tête de la cellule, l'augmentation à sept recruteurs sur le terrain, dont un en Amérique du Sud, prouvent que le club continue de se structurer. Sans oublier le partenariat signé en 2018 avec le RC Abidjan qui confère à Souleymane Cissé la charge du continent africain également. Les échanges sont permanents et nourrissent une importante base de données. Hâte de connaître la suite...