Le directeur du Tour et le maire de Nice s’expriment
Eglises fermées, offices et messes suspendus… Le confinement bouleverse les habitudes des croyants. Pour l’historien des religions, cette situation inédite les oblige à se tourner vers d’autres formes de communion
Confinement oblige, les croyants ne peuvent plus vivre leur foi en communauté. Y a-t-il eu des précédents ?
Non, c’est tout à fait inédit. Même pendant la Première Guerre mondiale, on n’a pas fermé les églises en France quand les obus tombaient. Lors de la Grande Peste, au XIVe siècle, non plus, par méconnaissance des modes de transmission. On peut dire qu’avec l’Education nationale, qui n’a jamais, avant la crise que nous traversons, dû annuler l’épreuve du bac en deux cents ans, pas même en , les religions vivent actuellement un moment tout à fait exceptionnel.
Les mesures sanitaires et le confinement auront-ils des répercussions sur les finances des différents cultes ?
Bien sûr. Plus de quête, plus de cierges dans les églises, c’est un manque à gagner certain. Les paroisses et les diocèses les plus pauvres vont souffrir. On pense aussi à la tradition de charité du ramadan, qui sera évidemment mise à mal. Un an après l’incendie de Notre-Dame, monument le plus visité au monde aujourd’hui à reconstruire, d’autres lieux saints fermés pour raisons sanitaires vont aussi payer un lourd tribut : Lourdes, bien sûr, dont la fermeture du sanctuaire s’ajoute à celle des stations de ski, un coup très dur pour l’économie locale ; le Sacré-Coeur, à Paris, où se pressent dix millions de visiteurs chaque année, qui font vivre tout le quartier de Montmartre… La France est très touchée. Les religions peuvent être facteurs d’épidémie. Elles en sont aussi les victimes.
Comment s’adaptent les différentes communautés à ces célébrations sans rites ni prières communautaires ?
D’abord, il faut souligner que toutes respectent les règles de confinement, à part quelques extrémistes qui voient dans cette pandémie une punition divine, l’expression de la colère de Dieu. Pour ce qui est de suivre les cultes, les croyants se sont tournés vers d’autres moyens. Catholiques et protestants plébiscitent les émissions religieuses sur France : le dimanche, Le Jour du Seigneur, qui permet de suivre une messe en direct célébrée depuis les studios du CFRT (Comité français de radiotélévision) à Paris, bat des records d’audience. La chaîne
KTO, qui diffuse des archives, tels des offices célébrés à Notre-Dame ou des sacres d’archevêque, les radios Notre-Dame et France Culture, qui diffusent la messe, permettent aussi de garder un lien avec le culte. Les autres religions ne sont pas en reste : sur YouTube et sur les réseaux sociaux, des initiatives – offices en direct, prières collectives virtuelles… – existent pour toutes les religions.
Plus de mariages ni de baptêmes. Les obsèques, elles-mêmes, sont réduites à leur plus simple expression…
Oui, et si les mariages et les baptêmes – ceux des adultes sont reportés à la Pentecôte – peuvent être décalés, ce n’est pas le cas pour les obsèques. Ne pas pouvoir effectuer de visite mortuaire, n’être pas plus de vingt personnes pour accompagner le défunt à sa sépulture, ce sont des choses difficiles à vivre pour les croyants comme pour les non-croyants. Il faut espérer que les cimetières auront rouvert à la Toussaint.
Si les religions souffrent de la crise sanitaire, certains rassemblements de fidèles ont aussi participé à la propagation du coronavirus…
En effet, c’est un sujet tabou, mais les rassemblements religieux sont depuis toujours un des vecteurs des maladies. En France, il est établi que l’épidémie de Covid- est partie, dans le Grand-Est, d’un rassemblement évangélique à
Mulhouse : personnes ont eu des contacts rapprochés pendant une semaine, entraînant de nombreuses contaminations. Un pasteur venu du Burkina-Faso a même rapporté le virus dans son pays à l’issue de ce séjour en France. Le petit pèlerinage de La Mecque, interrompu depuis, a exporté le coronavirus au Pakistan. La religion n’est pas la cause de la pandémie, mais il est évident que les rassemblements ont joué un rôle dans la propagation.
La suspension temporaire des cultes et prières collectives peut-elle faire germer un autre rapport à la foi, qui revalorise la prière personnelle ?
Il est, à ce jour, impossible de lire l’avenir. Comme pour ce qui relève des conséquences économiques, sociales et sanitaires de cette crise majeure, nous ne pouvons pas encore savoir ce qu’il en sera. Il faut faire preuve de la plus grande humilité à cet égard. Ce qui est sûr, c’est que, par nature, les religions ont foi en l’espérance. Elles ont ceci en commun : ne jamais être dans
‘‘ Les religions peuvent être facteurs d’épidémie. Elles en sont aussi les victimes”
‘‘ Quand tout va mal, la spiritualité est nécessaire la foi peut être d’un grand secours”
le désespoir. Quand tout va mal, la spiritualité est nécessaire, la foi peut être d’un grand secours. Après la Première Guerre mondiale, on a assisté à un record d’entrées au séminaire pour les garçons et dans les noviciats (les couvents) pour les filles. Incontestablement, les horreurs vécues, le nombre de morts ont, à ce moment, posé fortement la question du sens de la vie.
A lire : Les Religions dans le monde, Flammarion, collection « Champs », et Dieu et les religions, Albin Michel.